Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est le P. de La Tour qui me l’a conté depuis, et la surprise et la joie de Mme la Princesse, quand M. le Prince lui apprit enfin qu’il le voyoit ainsi depuis quelques mois. Alors il n’y eut plus de mystère ; le P. de La Tour fut mandé à découvert, et se rendit assidu pendant le peu de semaines que M. le Prince vécut depuis.

Les jésuites y furent cruellement trompés. Ils se croyoient en possession bien assurée d’un prince élevé chez eux, qui leur avoit donné son fils unique dans leur collège, qui n’avoit qu’eux à Chantilly et toujours pour compagnie, qui vivoit avec eux en entière familiarité. Leur P. Lucas, homme dur, rude, grossier, quoique souvent supérieur dans leurs maisons, étoit son confesseur en titre, qui véritablement ne l’occupoit guère, mais qu’il envoya chercher dans une chaise de poste, jusqu’à Rouen, tous les ans, à Pâques, où il étoit recteur. Ce père y apprit son extrémité, arriva là-dessus par les voitures publiques, et ne put ni le voir ni se faire payer son voyage. L’affront leur parut sanglant. M. le Prince pratiqua ainsi ce que j’ai rapporté que le premier président Harlay dit un jour aux jésuites et aux pères de l’Oratoire en face, qui étoient ensemble chez lui pour une affaire, en les reconduisant devant tout le monde : « Qu’il est bon, » se tournant aux jésuites, « de vivre avec vous, mes pères ! » et tout de suite se tournant aux pères de l’Oratoire : « et de mourir avec vous, mes pères ! »

Cependant la maladie augmenta rapidement et devint extrême. Les médecins le trouvèrent si mal la nuit de Pâques qu’ils lui proposèrent les sacrements pour le lendemain. Il disputa contre eux, puis leur dit qu’il les vouloit donc recevoir tout à l’heure, que ce seroit chose faite, et qui le délivreroit du spectacle qu’il craignoit. À leur tour, les médecins disputèrent sur l’heure indue, et que rien ne pressoit si fort. À la fin, de peur de l’aigrir, ils consentirent. On envoya à l’Oratoire et à la paroisse, et il reçut ainsi brusquement les derniers sacrements. Fort peu après, il