Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Lorraine, tous deux si fertiles en prétentions et si âpres à usurper, n’imaginèrent jamais qu’une princesse du sang pût prétendre au nom tout court de Mademoiselle. M. le Duc, leur fils et petit-fils, devenu premier ministre, osa tout. Il avoit préféré entre ses sœurs filles la cadette qu’il aimoit, pour la faire surintendante au mariage de la reine, à l’aînée qu’il n’aimoit point, qui en fut outrée. Plus entreprenante encore que lui, elle lui fournit un moyen de la consoler, qu’il trouva tellement de son goût qu’il y travailla à l’heure même.

Elle avoit plus de trente-deux ans, et n’avoit pas mené une vie à se marier ; demeurant fille, elle voulut être appelée tout court Mademoiselle. Le monde, depuis qu’elle étoit née, étoit accoutumé à l’appeler Mlle de Charolois. Mme la duchesse de Berry, fille de M. le duc d’Orléans, n’avoit paru qu’une seule fois avant son mariage ; Mlles ses soeurs, point du tout ; l’aînée étoit bien tout court Mademoiselle au Palais-Royal, mais le monde n’avoit pas eu à se ployer à cet usage, sinon comme en avancement d’hoirie pour Mme le duchesse de Berry, entre la déclaration et la conclusion de son mariage, et de même après pour la reine d’Espagne (mais elles ne paraissoient point dans ces courts intervalles, et on ne les nommoit pas beaucoup). Mlle de Charolois, au contraire, de branche si reculée, qui n’avoit point eu de tante Mademoiselle, et qui depuis si longtemps passoit sa vie à la cour et dans le plus grand monde, vit bien qu’il auroit peine à se défaire du nom de Charolois ; et M. le Duc, pour ne pas se commettre avec le public, fit dans sa toute-puissance, ce qui n’avoit jamais été imaginé pour le nom singulier de Mademoiselle ni pour tous les autres dont j’ai parlé. Il fit donner un brevet à Mlle de Charolois pour être désormais appelée Mademoiselle tout court. Mlle de Beaujolois, dernière fille de Mme la duchesse d’Orléans [1], étoit

  1. Le duc d’Orléans n’avait qu’une fille religieuse ; elle se nommait Louise-Adélaïde et devint abbesse de Chelles le 14 septembre 1719.