Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/198

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à ne pouvoir le cacher. Il haïssait les trois premiers de jalousie, l’autre un peu moins, parce qu’il étoit en respect avec lui. Il étoit toujours demeuré une sorte de liaison de M. le Prince et de M. le prince de Conti à lui, de l’ancien chrême des pères, mais sans rien d’apparent.

Sur les derniers temps, ses bas amis et ses valets abusèrent de lui pour eux et pour les leurs, et lui firent faire au roi si souvent des demandes âpres, importunes et si peu convenables, qu’il l’en fatigua et l’accoutuma à le refuser, et lui à le gourmander de plaintes et de reproches, [ce] qui mit un malaise entre eux, et lui donna des pensées de retraite qui l’amusèrent et le trompèrent longtemps.

Sa voix étoit déjà fort affaiblie, elle ne lui permettoit plus de monter à cheval ; il couroit en calèche, et si on manquoit, c’étoit à l’ordinaire une furie jusqu’à la chasse suivante qu’on prenoit. À la mort du cerf, il se faisoit descendre et mener au roi, pour lui présenter le pied, qu’il lui fourroit souvent dans les yeux ou dans l’oreille. Cela le peinoit fort, et même le monde, et de le voir presque couché dans sa calèche comme un corps mort. Quelquefois le roi hasardoit doucement de lui proposer de prendre du repos, et cela perçoit le cœur au favori, qui, ne pouvant plus suivre le roi ni le servir, faute de vue, sentoit qu’il lui devenoit pesant de plus en plus.

Peu écouté, presque toujours éconduit, quelquefois, à force d’importuner, refusé sèchement, le dépit vint au secours du courage. Il se retira, mais pitoyablement. Il flottoit entre sa maison de Paris et Sainte-Geneviève, où la mémoire du cardinal de La Rochefoucauld l’eût rendu maître de tout ce qu’il auroit voulu [1]. En l’un et l’autre lieu il n’eût pas manqué de toute espèce de compagnie et de secours ; mais ses valets, qui étoient ses maîtres, ne lui permirent ni l’un ni l’autre. Ils le voulurent à portée de le faire marcher à leur gré chez

  1. Voy. notes à la fin du volume.