Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espéra en venir à bout, et cependant amusa bille Choin de compliments, de voyages et de temps mal arrangés. Elle ne laissa pas d’être surprise de voir ses avances languir, elle qui n’étoit occupée que de parades et de refus de commerce avec ce qu’il y avoit de plus important qui faisoit tout pour y être admis.

L’entrevue se différant toujours, parce que Chamillart n’y vouloit point entendre, et que son gendre pallioit toujours de prétextes, Mlle Choin en parla à Mlle de Lislebonne, si intimement avec Chamillart. Celle-ci craignit que cette liaison se fît sans elle, et d’être privée du mérite des deux côtés d’y avoir travaillé, se hâta d’en parler à Chamillart, qui, d’un ton de confiance, et d’un air de complaisance, pour ne pas dire de mépris, lui apprit que cette connoissance se seroit faite depuis fort longtemps, s’il l’avoit voulu ; qu’on l’en pressoit toujours ; que La Feuillade le vouloit ; mais que, pour lui, il ne savoit pas à quoi cela seroit bon à Mlle Choin et à lui ; qu’il étoit trop vieux pour des connoissances nouvelles ; qu’il ne lui en falloit point au delà de son cabinet ; que le roi et Mme de Maintenon lui suffi soient, et que les intrigues et les cabales de cour ne lui alloient point.

Qui fut étonné ? ce fut Mlle de Lislebonne. Elle n’avoit pas le même intérêt que La Feuillade ; elle sentit le fait qu’il n’avoit osé avouer à Mlle Choin qu’il amusoit cependant ; elle connoissoit assez Chamillart pour comprendre que, avec ces belles maximes dont il s’applaudissoit, elle ne lui en feroit pas changer ; ainsi elle ne lui en dit pas davantage, pour ne pas lui déplaire inutilement. Mais ce que fit d’honnête cette bonne et sûre amie, sur laquelle Chamillart comptoit si fort, fut de rendre à Mlle Choin cette conversation tout entière sans y manquer d’un mot, pour se faire un mérite auprès d’elle d’avoir découvert en un moment à quoi il tenoit qu’elle ne vit Chamillart, et l’empêcher d’être plus longtemps la dupe du beau-père et du gendre.