Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/260

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que le crédit que son père, qui ne mourut de plus de quatre ans après, conserva toute sa vie auprès du roi, qui se piqua toujours de l’aimer, et qui lui fit plus de grâces pour sa famille, depuis sa retraite, qu’il n’en avoit obtenu pendant son ministère.

Voysin eut grand besoin de la femme dont la Providence le pourvut. Devenu maître des requêtes sans avoir eu le temps d’apprendre dans les tribunaux, et de là passé promptement à l’intendance, il demeura parfaitement ignorant. D’ailleurs sec, dur, sans politesse ni savoir-vivre, et pleinement gâté comme le sont presque tous les intendants, surtout de ces grandes intendances, il n’en eut pas même le savoir-vivre, mais tout l’orgueil, la hauteur et l’insolence. Jamais homme ne fut si intendant que celui-là, et ne le demeura si parfaitement toute sa vie, depuis les pieds jusqu’à la tête, avec l’autorité toute crue pour tout faire et pour répondre à tout. C’étoit sa loi et ses prophètes ; c’étoit son code, sa coutume, son droit ; en un mot, c’étoit son principe et tout pour lui. Aussi excella-t-il dans toutes les parties d’un intendant, et grand, facile et appliqué travailleur, d’un grand détail et voyant et faisant tout par lui-même ; d’ailleurs farouche et sans aucune société, non pas même devenu conseiller d’État et après ministre ; incapable jusque de faire les honneurs de chez lui. Le courtisan, le seigneur, l’officier général et particulier, accoutumés à l’accès facile et à l’affabilité de Chamillart, à sa patience à écouter, à ses manières douces, mesurées, honnêtes, proportionnées de répondre, même à des importuns et à des demandes et à des plaintes sans fondement, et au style semblable de ses lettres, se trouvèrent bien étonnés de trouver en Voysin tout le contre-pied : un homme à peine visible et fâché d’être vu, refrogné, éconduiseur, qui coupoit la parole, qui répondoit sec et ferme en deux mots, qui tournoit le dos à la réplique, ou fermoit la bouche aux gens par quelque chose de sec, de décisif et d’impérieux, et dont les lettres