Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/292

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avis sur le rappel des troupes dont le sort étoit jeté uniquement pour entrer mieux en matière, et de cette façon je vins au point que je voulois traiter avec lui, qui étoit la cabale opposée, et qui en vouloit à tous les ministres, qui commençoit à prendre force et à parler haut. Il me dit que tout cela ne lui importoit guère, qu’il disoit son avis comme il le pensoit, parce qu’il avoit droit de le dire au conseil ; que, du reste, il lui importoit peu en son particulier qu’il fût goûté, ou non, pourvu qu’il fit l’acquit de sa conscience, moins encore de la cabale qu’il voyoit bien toute formée et toute menaçante ; que je l’avois vu, dans la crise des affaires de M. de Cambrai, dans un état bien plus hasardeux, puisqu’il étoit près alors d’être congédié à tous les instants ; que je lui pouvoir être témoin que je ne l’en avois vu ni plus ému ni plus embarrassé, aussi content de se retirer en sa maison que de vivre parmi les affaires, et même davantage ; qu’il regardoit les choses du même œil présentement ; qu’à son âge, dans l’état où se trouvoit sa famille, et pensant comme il faisoit depuis longtemps sur ce monde et sur l’autre, il ne regardoit pas comme un malheur d’achever sa vie chez lui, en solitude, à la campagne, et de s’y préparer avec plus de tranquillité à la mort ; qu’il ne se pouvoit retirer avec bienséance dans la confusion présente des affaires ; mais qu’il étoit bien éloigné de regarder comme un mal la nécessité de le faire qui lui donneroit du repos.

Je lui répondis que personne n’étoit plus persuadé que je l’étois de la sincérité et de la solidité de ses sentiments, et ne les admiroit davantage, et en cela je disois ce que je pensois, et je ne me trompois pas, mais que j’avois un dilemme à lui opposer que je le suppliois d’écouter avec attention, auquel je ne croyois pas de réplique : que si, charmé des biens et de la douceur de la retraite, et de n’avoir plus à songer qu’aux années éternelles, il se persuadoit que son âge (il avoit alors soixante et un ans), l’état de sa famille et ses propres réflexions sur les affaires présentes, le dussent