Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/364

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aux différentes parties de l’État, moins soigneuse des affaires que de fermer les bouches par persuasion ou par terreur. Le roi s’expliquoit souvent sur ce qu’il appeloit les discoureurs ; et on devenoit coupable d’un crime sensible, quelque borine intention qu’on eut en parlant, sitôt qu’on s’écartoit un peu de la fadeur de la Gazette de France, et de celle des bas courtisans.

Sur la fin du siège de la citadelle de Tournay, Boufflers sentit l’étrange poids des affaires de Flandre ; et s’inquiéta de ce qu’un seul homme en étoit chargé, qui, mis hors de combat par maladie ou par quelque autre accident, ne pourroit être remplacé à l’instant, et dans des circonstances si pressantes et si critiques. Pénétré de ce danger, il en parla au roi, lui dit qu’il voyoit que tout se disposoit à une bataille, lui représenta le péril de son armée, si par un accident arrivé à Villars elle tomboit dans une anarchie dans des moments si décisifs. Tout de suite, il s’offrit de l’aller seconder, d’oublier tout pour lui obéir, n’être que son soulagement, et rien dans l’armée que par lui, et à portée seulement de le suppléer en cas d’accident à sa personne.

Pour comprendre la grandeur de ce trait, digne de ces Romains les plus illustres des temps de la plus pure vertu de leur république, je m’arrêterai ici un moment. Boufflers, au comble des honneurs, de la gloire, de la confiance, n’avoit qu’à demeurer en repos, à jouir d’un état si radieux, avec une santé qui ne lui avoit pas permis de commander l’armée. Il étoit parvenu, avec réputation, à être chevalier de l’ordre et de la Toison d’or, colonel, puis capitaine des gardes, et avoit justement sur le cœur d’avoir été forcé de quitter la première charge pour l’autre. Maréchal de France, duc et pair, gouverneur de Flandre [avec] la survivance pour son fils, maître et modérateur de Paris, avec les entrées de premier gentilhomme de la chambre, la privante et la confiance du roi et de Mme de Maintenon, et la tutelle du ministre