Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/374

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grands et des plus véritables coupables ; ce qui, faute de preuves parfaites, s’étendit jusqu’à des membres du parlement de Besançon, lequel on ne voulut pas effaroucher. On se souviendra ici de ce qui a été rapporté des trahisons de Vaudemont et de ses nièces, qui, au fait de tout à notre cour, ne laissoient rien ignorer à Vienne par le canal de M. de Lorraine ; beaucoup d’autres gens, et quelques-uns distingués, s’absentèrent aussi.

Tel fut le succès des pratiques si dangereuses que la maison de Lorraine n’a cessé de brasser contre la France et contre ses rois, depuis François Ier jusqu’à la fin de Louis XIV, qui n’ont tous cessé de leur prodiguer biens, honneurs, charges, faveur et rangs ; et qui se sont montrés sans cesse aussi infatigables à dissimuler, et à lui pardonner ses crimes, qu’elle à en commettre toutes les fois qu’elle l’a pu, et de montrer son éternel regret d’avoir manqué le grand coup de la Ligue, et de n’avoir pu exterminer les Bourbons et leur arracher la couronne pour se la mettre sur la tête : sentiment tellement inné en elle que les moins capables d’entreprise et les plus comblés ne peuvent s’empêcher de le laisser échapper, témoin ce qui est rapporté de M. le Grand (t. VI, p. 2).

Il se trouva dans la cassette de Mercy un mémoire instructif du prince Eugène à ce général, dont plusieurs endroits étoient d’une obscurité mystérieuse difficile à pénétrer. On y lut entre autres choses qu’il falloit tout tenter pour remettre la France hors d’état à jamais d’inquiéter l’Europe, et de plus sortir de ses limites, où il falloit la rappeler, et, si on n’y pouvoit enfin réussir par les armes, on seroit obligé d’avoir recours aux grands et derniers remèdes. Cela, avec d’autres choses qu’on tint fort secrètes, donna beaucoup à penser au roi et à ses ministres ; il parut même qu’ils étoient fort fâchés que ceci eût échappé à leur silence. Il étoit trop vrai pour courir après, mais on étouffa ce trait autant qu’on le put.