Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/428

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J’y fus témoin de deux aventures que je ne puis m’empêcher de rapporter. Ce magnifique collège de la Flèche n’est qu’à deux lieues de Courcelles ; nous l’allâmes voir. Les jésuites firent de leur mieux pour faire la meilleure réception qu’ils purent. Chauvelin, intendant de la province, s’y trouva pour y ajouter tout ce qu’il put. C’est celui qui devint après conseiller d’État, cousin de Chauvelin, qui longtemps depuis eut les sceaux et bien mieux encore. Tessé avoit donné pour rien une de ses filles à La Varenne, qui étoit seigneur de la Flèche ; elle étoit veuve et y demeuroit. Chamillart crut de la politesse de l’aller voir et me le proposa ; je crus lui devoir dire qu’elle étoit fille de Tessé, parce que ce maréchal avoit contribué à sa chute, et qu’il n’avoit pas gardé de mesures avec lui dans les derniers temps. Cela n’arrêta pas Chamillart ; je ne lui en dis pas aussi davantage ; nous y allâmes. La maison se trouva si dégarnie de domestiqués et si peu en ordre, que nous demeurâmes tous deux seuls près d’un quart d’heure, dans une antichambre. Il y avoit une grande et vieille cheminée, sur laquelle on lisoit en fort grosses lettres ces deux vers latins :

« Quum fueris felix, multos numerabis amicos [1] ;

Tempora si fuerint nubila, solus eris. »

Je l’aperçus, et me gardai bien d’en faire aucun semblant ; mais le long temps que nous restâmes là donna loisir à Chamillart de tout considérer et de la lire. Je le vis faire, et je m’écartai pour ne lui pas montrer que je m’en apercevois, ni donner lieu de parler sur cette morale.

L’autre aventure fut plus pesante. La paroisse de Courcelles est petite, éloignée, et par un fort mauvais chemin. Contents d’y avoir été à la grand’messe le jour de la Toussaint,

  1. Saint-Simon, citant de mémoire, a altéré le premier vers du distique si connu : Donec eris felix, multos numerabis amicos…