Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/131

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vrer les deux princes d’un si fâcheux public. Il leur proposa donc que M. [le duc] et Mme la duchesse de Berry se retirassent dans leur appartement ; et le monde, de celui de Mme la duchesse de Bourgogne. Cet avis fut aussitôt embrassé. M. le duc de Berry s’achemina donc partie seul et quelquefois appuyé sur son épouse, Mme de Saint-Simon avec eux et une poignée de gens. Je les suivis de loin pour ne pas exposer ma curiosité plus longtemps. Ce prince vouloit coucher chez lui, mais Mme la duchesse de Berry ne le voulut pas quitter ; il étoit si suffoqué et elle aussi qu’on fit demeurer auprès d’eux une Faculté complète et munie.

Toute leur nuit se passa en larmes et en cris. De fois à autre M. le duc de Berry demandoit des nouvelles de Meudon, sans vouloir comprendre la cause de la retraite du roi à Marly. Quelquefois il s’informoit s’il n’y avoit plus d’espérance, il vouloit envoyer aux nouvelles ; et ce ne fut qu’assez avant dans la matinée que le funeste rideau fut tiré de devant ses yeux, tant la nature et l’intérêt ont de peine à se persuader des maux extrêmes sans remède. On ne peut rendre l’état où il fut quand il le sentit enfin dans toute son étendue. Celui de Mme la duchesse de Berry ne fut guère meilleur, mais qui ne l’empêcha pas de prendre de lui tous les soins possibles.

La nuit de Mgr [le duc] et de Mme la duchesse de Bourgogne fut plus tranquille ; ils se couchèrent assez paisiblement. Mme de Lévi dit tout bas à la princesse que, n’ayant pas lieu d’être affligée, il seroit horrible de lui voir jouer la comédie. Elle répondit bien naturellement que, sans comédie, la pitié et le spectacle la touchoient, et la bienséance la contenoit, et rien de plus ; et en effet elle se tint dans ces bornes-là avec vérité et avec décence. Ils voulurent que quelques-unes des dames du palais passassent la nuit dans leur chambre dans des fauteuils. Le rideau demeura ouvert, et cette chambre devint aussitôt le palais de Morphée. Le prince et la princesse s’endormirent promptement, s’éveillèrent