Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/135

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De caractère, il n’en avoit aucun ; du sens assez, sans aucune sorte d’esprit, comme il parut dans l’affaire du testament du roi d’Espagne ; de la hauteur, de la dignité par nature, par prestance, par imitation du roi ; de l’opiniâtreté sans mesure, et un tissu de petitesses arrangées qui formoient tout le tissu de sa vie ; doux par paresse et par une sorte de stupidité ; dur au fond, avec un extérieur de bonté qui ne portoit que sur des subalternes et sur des valets, et qui ne s’exprimoit que par des questions basses. Il étoit avec eux d’une familiarité prodigieuse, d’ailleurs insensible à la misère et à la douleur des autres, en cela peut-être plutôt en proie à l’incurie et à l’imitation qu’à un mauvais naturel ; silencieux à l’incroyable, conséquemmént fort secret, jusque-là qu’on a cru qu’il n’avoit jamais parlé d’affaires d’État à la Choin, peut-être parce que tous [deux] n’y entendoient guère. L’épaisseur d’une part, la crainte de l’autre, formoient en ce prince une retenue qui a peu d’exemples ; en même temps glorieux à l’excès, ce qui est plaisant à dire d’un Dauphin jaloux de respect, et presque uniquement attentif et sensible à tout ce qui lui étoit dû, et partout. Il dit une fois à Mlle Choin, sur ce silence dont elle lui parloit, que les paroles de gens comme lui portant un grand poids, et obligeant aussi à de grandes réparations quand elles n’étoient pas mesurées, il aimoit mieux très-souvent garder le silence que de parler. C’étoit aussi plus tôt fait pour sa paresse et sa parfaite incurie ; et cette maxime excellente, mais qu’il outroit, étoit apparemment une des leçons du roi ou du duc de Montausier qu’il avoit le mieux retenue.

Son arrangement étoit extrême pour ses affaires particulières ; il écrivit lui-même toutes ses dépenses prises sur lui. Il savoit ce que lui coûtoient les moindres choses quoiqu’il dépensât infiniment en bâtiments, en meubles, en joyaux de toute espèce, en voyages de Meudon, et à l’équipage du loup dont il s’étoit laissé accroire qu’il aimoit la chasse. Il avoit fort aimé toute sorte de gros jeu, mais