Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/182

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chacun. Il étoit allé les y attendre pour jouir de cet honneur, et s’y égaler à un petit-fils de France. La reine fit des excuses de n’être pas en mante pour les recevoir, c’est-à-dire en petit voile, parce que, au moins en France, les veuves ne portent de mante en nulle occasion ; elle ajouta que le roi le lui avoit défendu. Cette excuse fut le comble de la politesse. Le roi, très-attentif à ne faire sentir à la reine d’Angleterre rien de sa triste situation, n’avoit garde de souffrir qu’elle prît une mante, ni le roi d’Angleterre un grand manteau, pour recevoir le grand deuil de cérémonie d’un Dauphin et qui n’étoit pas roi. En se levant ils voulurent aller chez la princesse d’Angleterre ; mais la reine les arrêta et l’envoya chercher. Elle se contenta que la visite fût marquée. On ne se rassit point. La princesse, qui à cause de la reine étoit sans mante, ne pouvoit avoir de fauteuil devant elle, ni les fils et filles de France [être] sans fauteuil devant la reine dans le sien, ni garder le leur en présence de la princesse d’Angleterre sur un ployant. La visite finit de la sorte. De toute la cour de Saint-Germain aucune dame ne parut en mante, ni aucun homme en manteau long que le seul duc de Berwick, à cause de ses dignités françaises.

Le lundi suivant, 29 avril, le roi s’en alla, sur les onze heures du matin, à Versailles, où il reçut les compliments de tous les ministres étrangers ; après eux de beaucoup d’ordres religieux ; et après son dîner au petit couvert, les harangues du parlement, de la chambre des comptes, de la cour des aides, de celle des monnaies, et de la ville de Paris. La compétence du grand conseil et du parlement mit une heure d’intervalle, après laquelle il vint aussi faire sa harangue, suivi de l’Université et de l’Académie française, pour laquelle Saint-Aulaire porta fort bien la parole. Le parlement alla aussi haranguer Mgr le Dauphin ; le premier président ne voulut pas lui laisser ignorer que c’étoit par ordre du roi qu’il le haranguoit et qu’il le traitoit de Monseigneur. Cette insolente bagatelle mériteroit des réflexions.