Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/260

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range ici, selon mon désir, les uns de préférence aux autres, suivant que je les ai mis. L’assignation à demain (du travail décisif avec le roi) me donne le frisson et la sueur. J’en dis pour mon âme, avec toute la résignation que je puis, mon In manus à Dieu, et je vous le dis à vous, monsieur, pour cette dignité, squelette le plus chéri et le plus précieux de tous biens que je tienne des libéralités royales. Après tout, il n’y a qu’à s’abandonner à la volonté de Dieu, à vos nerveux et vifs raisonnements, aux effets de la grâce ou de la nature, et, quoi qu’il en arrive, à une reconnoissance et un dévouement pour vous, monsieur, que ces occasions uniques me font sentir qui peuvent s’enfoncer, s’il se pouvoit, plus avant que le cœur. Pour le secret, il est, monsieur, et sera entier. »

Au sortir d’avec le roi, le lendemain 12, le chancelier m’écrivit ce billet : « Je ne puis encore vous tirer des limbes aujourd’hui, monsieur. Supportez vos ténèbres encore quelques jours ; mais supportez-les avec espérance d’en sortir bientôt avec avantage ; et, si le soleil ne vous paroît pas aussi favorable que vous le voudriez, vous aurez tort, si je ne me trompe, et très-grand tort. Je suis à vous, monsieur, mais à condition que vous n’aurez aucun tort. »

Deux jours après, je retournai à Marly par Versailles, c’est-à-dire le samedi, où je vis le chancelier à mon aise. Là j’appris que mon mémoire sur l’autorité du roi l’avoit ramené à mon point, et que la fixation du rang seroit réglée à la réception de l’impétrant et non plus à l’enregistrement des lettres ; ainsi, après avoir perdu ma cause sur des raisons invincibles pour moi, qui ne purent ni faire d’impression ni trouver de réponse, je la gagnai sur d’autres tout à fait ineptes à ce dont il s’agissoit, mais qui remuèrent le premier mobile du juge, et voilà ce que sert d’être bien averti et servi. Je rendis mille grâces au chancelier, qui ouvrit la conversation par là, apparemment pour me calmer