Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/298

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de quelque genre que ce fût, pas même de dévotion, excepté celle qui étoit particulière au petit troupeau, et d’un mouvement de corps incroyable ; fidèle à ses amis et fort capable d’amitié, et secret à surprendre à travers cette insupportable affluence de paroles, héréditaire chez lui de père en fils. Il a peut-être été le seul qui ait su joindre une profession publique de dévotion de toute sa vie avec le commerce étroit des libertins de son temps, et l’amitié de la plupart, qui tous le recherchoient et l’avoient tant qu’ils pouvoient dans leurs parties où il n’y avoit pas de débauche, et non-seulement sans se moquer de ses pratiques si contraires aux leurs (je dis la meilleure compagnie et la plus brillante de la cour et des armées), mais avec liberté et confiance, retenus même par considération pour lui, et sans que leur gaieté ni leur liberté en fût altérée. Il étoit de fort bonne compagnie et bon convive, avec de la valeur, de la gaieté et des propos et des expressions souvent fort plaisantes. La vivacité de son tempérament lui donnoit des passions auxquelles sa piété donnoit un frein pénible, mais qui en prenoit le dessus à force de bras, et qui fournissoient souvent avec lui à la plaisanterie.

M. de Beauvilliers avoit fort souhaité autrefois que Charost et moi liassions ensemble ; et cette liaison qui s’étoit faite avoit réussi jusqu’à la plus grande intimité, qui a toujours duré depuis entre nous. Je n’ai jamais connu M. de Cambrai que de visage ; j’étois à peine entré dans le monde lors du déclin de sa faveur ; je ne me suis jamais présenté aux mystères du petit troupeau. C’étoit donc être bien inférieur au duc de Charost à l’égard des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, dont on lui verra bientôt recueillir le fruit, et néanmoins il en étoit demeuré avec eux à la confiance de leur gnose [1], tandis que je l’avois entière sur tout ce qui regardoit

  1. Le mot gnose, tiré du grec, signifie la science par excellence ; de là le nom de gnostiques donné à des hérétiques qui prétendaient qu’il y avait deux christianismes : l’un pour le peuple, l’autre pour les initiés.