Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/307

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quelquefois par quelques paroles plus sérieuses, bien qu’également étranglées, sur le mauvais de ce gouvernement. Elle crut donc se procurer un avantage, à l’État un bien, au roi un soulagement, de faire en sorte qu’il s’accoutumât à faire préparer les matières par le Dauphin, à lui en laisser expédier quelques-unes, et peu à peu ainsi à se décharger sur lui du gros et du plus pesant des affaires, dont il s’étoit toujours montré si capable, et dans lesquelles il étoit initié, puisqu’il étoit de tous les conseils, où il parloit depuis longtemps avec beaucoup de justesse et de discernement. Elle compta que cette nouveauté rendroit les ministres plus appliqués, plus laborieux, surtout plus traitables et plus circonspects. Vouloir et faire, sur les choses intérieures et qui par leur nature pouvoient s’amener de loin par degrés avec adresse, fut toujours pour elle une seule et même chose.

Le roi, déjà plus enclin à son petit-fils, étoit moins en garde des applaudissements qu’il recevoit sous ses yeux, qu’il ne l’avoit paru sur ceux de ses premières campagnes. Bloin et les autres valets intérieurs, dévoués à M. de Vendôme, n’avoient plus cet objet ni Monseigneur en croupe. Ils étoient en crainte et en tremblement ; et M. du Maine, destitué de leur appui, n’osoit plus ouvrir la bouche ni hasarder que Mme de Maintenon le découvrît contraire. Ainsi le roi étoit sans ces puissants contre-poids, qui avoient tant manégé auparavant dans ses heures les plus secrètes et les plus libres.

La sage et flexible conduite de ce respectueux et assidu petit-fils l’avoit préparé à se rendre facile aux insinuations de Mme de Maintenon, tellement que, quelque accoutumé que l’on commençât d’être à la complaisance que le roi prenoit dans le Dauphin, toute la cour fut étrangement surprise de ce que, l’ayant retenu un matin seul dans son cabinet assez longtemps, il ordonna le même jour à ses ministres d’aller travailler chez le Dauphin toutes les fois qu’il les