Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

avec impétuosité, et en général ajoutoit aux raisons de Torcy le poids de son esprit, de sa liberté, de son autorité. Cela s’appeloit chez M. de Beauvilliers être janséniste, et être janséniste étoit chez lui quelque chose de plus odieux et de plus dangereux qu’être protestant.

Torcy avoit encore deux crimes envers lui : l’un de n’avoir jamais eu de liaison avec M. de Cambrai ; l’autre d’être mari de Mme de Torcy, qui avoit en effet un véritable pouvoir sur lui, qui du cœur passoit à l’esprit. Elle en avoit beaucoup elle-même, et savoit beaucoup aussi. Avec cela, libre et peu capable de cacher ses sentiments, qui étoient tout à fait conformes à son nom. Ce n’étoit pas pourtant qu’elle fût imprudente, encore moins qu’elle affichât rien, mais on la démêloit. C’étoit donc aux yeux de M. de Beauvilliers une manière d’hérétique qui pervertissoit son mari, et qui le tenoit de trop près et de trop court pour espérer de le convertir, même de le rendre moins opposé, ou plus complaisant.

M. de Chevreuse, malgré son abjuration de Port-Royal où il avoit été élevé, n’étoit pas si outré que son beau-frère. C’étoit un composé fort bizarre à cet égard. Non moins abandonné à Mme Guyon, à M. de Cambrai surtout, et à toute sa gnose, il avoit retenu de son éducation une aversion parfaite des jésuites qu’il cachoit avec soin, où je le surpris plus d’une fois, et qu’il ne me désavoua pas avec le secret et la confiance qui étoit établie entre nous ; par conséquent, toujours en garde contre eux, et comme plus foncier que M. de Beauvilliers, moins livré aux entreprises de Rome ; je dis moins parce qu’il étoit encore beaucoup. Ces gens de Port-Royal qu’il avoit abdiqués, l’estime et l’affection pour eux n’avoit pu s’effacer en lui. Il me l’a avoué de presque tous, et néanmoins en spéculation à eux, il leur étoit contraire en pratique. Ce composé ne peut s’expliquer, mais il étoit tel que je le représente. Cette façon d’être, jointe avec sa douceur naturelle, son esprit compassé et si naturellement