Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/38

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réussir. Elle avoit depuis son retour mené à Paris une vie fort triste. Elle n’avoit point d’enfants et n’eut rien de son mari. Il avoit l’honneur d’appartenir au roi, qui prit le deuil en noir pour cinq ou six jours.

Il se produisit en ces derniers jours de l’année un de ces aventuriers escrocs, qui prétendoit avoir le grand secret de faire de l’or. Boudin, premier médecin de Monseigneur, le fit travailler chez lui, sous ses yeux et sous clef. On le verra dans quelque temps un hardi et dangereux personnage pour un homme de son espèce. Il est bon d’en dire un mot puisqu’il se trouve naturellement ici sous la main. Il étoit boudin de figure comme de nom, fils d’un apothicaire du roi dont personne n’avoit jamais fait cas. Il étudia en médecine, fut laborieux, curieux, savant. S’il fût demeuré dans l’application et le sérieux, c’eût été un bel et bon esprit. Il l’avoit d’ailleurs extrêmement orné de littérature et d’histoire, et en avoit infiniment d’un tour naturel, plein d’agrément, de vivacité, de reparties, et si naïvement plaisant que personne n’étoit plus continuellement divertissant, sans jamais vouloir l’être. Il fut doyen de la faculté de Paris, médecin du roi, et enfin premier médecin de Monseigneur, avec lequel il étoit au mieux. Il subjugua M. Fagon, le tyran de la médecine et le maître absolu des médecins, au point d’en faire tout ce qu’il vouloit, et d’entrer chez lui à toute heure, lui toujours sous cent verrous. Il haïssait le tabac jusqu’à le croire un poison ; Boudin lui dédia une thèse de médecine contre le tabac, et la soutint toute en sa présence, se crevant de tabac, dont il eut toujours les doigts pleins, sa tabatière à la main, et le visage barbouillé. Cela eût mis Fagon en fureur d’un autre ; de lui tout passoit. Un homme de si bonne compagnie réussit bientôt dans une cour où il ne pouvoit faire envie à personne. Il fut des soupers familiers de M. le Duc, de ceux de M. le prince de Conti. C’étoit à qui l’auroit, hommes et femmes du plus haut parage et de la meilleure compagnie, et ne l’avoit pas qui vouloit, vieux