Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/380

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à ses promenades qu’aux heures de cour chez lui, parce que j’y serois plus libre de les suivre et de les quitter, de remarquer, de parler ou de me taire, suivant ce qui s’y trouveroit ; d’avoir attention d’éviter d’aborder et de quitter la promenade du roi avec le Dauphin, et de lui parler en sa présence ; enfin, de tout ce que la prudence peut suggérer pour éviter tout éclat, m’insinuer de plus en plus, et profiter au mieux de ce qui se présentoit à moi de si bonne grâce. Il m’avertit que je pouvois parler de tout sans aucune sorte de crainte au Dauphin, et que je devois le faire selon que je le jugerois à propos, étant bon de l’y accoutumer ; il finit par m’exhorter au travail où je m’étois engagé : c’étoient les fruits de ce qu’il avoit de longue main préparé, puis fait pour moi auprès du Dauphin. Son amitié et son estime l’avoient persuadé que la confiance que ce prince pourroit prendre en moi seroit utile à l’état et au prince, et il étoit si sûr de moi que c’étoit initier un autre soi-même.

Il préparoit et dirigeoit le travail particulier du Dauphin avec les ministres, eux-mêmes ne le pouvoient guère ignorer. L’ancienne rancune de Mme de Maintenon cédoit au besoin présent d’un homme qu’elle n’avoit pu renverser, qui étoit toujours demeuré avec elle dans une mesure également ferme et modeste, qui étoit incapable d’abuser de ce que le Dauphin lui étoit, duquel elle ne craignoit rien pour l’avenir, bien assurée de la reconnoissance de ce prince, qui sentoit qu’il lui devoit la confiance du roi, et l’autorité où il commençoit à l’élever, d’ailleurs sûre de la Dauphine comme d’elle-même, pour l’amour de laquelle elle avoit ramené le roi jusqu’à ce point. Par conséquent le roi, qui ne trouvoit plus d’aigreur ni de manéges en Mme de Maintenon, contre M. de Beauvilliers, suivoit son penchant d’habitude, d’estime et de confiance, et n’étoit point blessé de ce qui étoit pesant aux ministres, et de ce qui mettoit le duc dans une situation si principale au dedans et si considérable