Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/443

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qu’eux ; un prompt démenti net et sec, sans détour ni enveloppe, fut le salaire de cette vérité ; Montesquiou frémit, tourna le dos de sa main sur la garde de son épée et sortit. Villars, fier de ce triomphe, l’unique de sa campagne, après en avoir coup sur coup manqué deux si beaux, si sûrs, si nécessaires, se mit à braver de plus belle, d’autant mieux qu’après cet étrange essai, il ne craignoit plus d’être contredit en face ; mais la vérité étoit contre lui, elle demeuroit entière, elle étoit connue de toute l’armée, et quoique Montesquiou n’en fût pas aimé, il fut visité de toute l’armée en foule. Villars enfin, un peu revenu à soi, fut fort embarrassé ; il fit des pas pour se raccommoder avec Montesquiou. Les armées, non plus que les cours, ne manquent pas de gens qui aiment à se faire de fête et à s’empresser ; il s’en trouva qui volontiers s’entremirent entre les deux maréchaux. Le second, bien fâché d’avoir à repousser contre son supérieur une injure si atroce et si publique, ne fut pas fâché d’en sortir par l’apparente porte de l’amour du bien public dans des conjonctures fâcheuses, soutenu par une réputation plus que faite sur la valeur, et par la consolation d’avoir toute l’armée pour témoin de la vérité qu’il avoit soutenue. Pour couper court à une si étrange affaire, il ne fut pas question d’éclaircissement qui n’eût pas été possible, ni d’excuse qui n’eût fait qu’aggraver ; on crut qu’un air d’oubli ou de chose non avenue étoit l’unique voie à prendre. Dès le lendemain Montesquiou parut un moment chez Villars, et peu à peu ils se revirent à l’ordinaire. Pour achever tout de suite ce qui regarde cette aventure, elle revint à Paris et à la cour par toutes les lettres de l’armée. Le roi aimoit Montesquiou qu’il voyoit depuis longtemps quelquefois par les derrières, et qui étoit ami de tous les valets principaux, mais son démenti le peinoit bien moins que la cause et que les suites qu’il en voyoit par le siége de Bouchain, que les ennemis avoient formé ; il ordonna donc à Villars de lui envoyer un officier général bien instruit pour lui rendre