Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui pouvoit influer sur les affaires de l’empereur, fit un peu de soulagement.

Le roi, lassé de voir son régiment d’infanterie dans un assez mauvais état, donna le gouvernement de Landrecies à du Barail et le fit maréchal de camp. Il étoit lieutenant-colonel lorsque le roi l’ôta, comme on l’a dit, à Surville, et le donna à du Barail à qui il le reprit et le donna à Nangis. Cela parut un grand commencement de fortune à tous les détails que le colonel de ce régiment avoit fréquemment tête à tête avec le roi, qui se croyoit le colonel particulier de ce régiment, avec le même goût qu’un jeune homme qui sort des mousquetaires.

Feuquières mourut en ce temps-ci. Il étoit ancien lieutenant général, d’une grande et froide valeur, de beaucoup plus d’esprit qu’on n’en a d’ordinaire, orné et instruit, et d’une science à la guerre qui l’auroit porté à tout, pour peu que sa méchanceté suprême lui eût permis de cacher au moins un peu qu’il n’avoit ni cœur ni âme. On en a vu quelques traits ici répandus, dont sa vie ne fut qu’un tissu. C’étoit un homme qui ne servoit jamais dans une armée qu’à dessein de la commander, de s’emparer du général, de s’approprier tout, de se jouer de tous les officiers généraux et particuliers ; et, comme il ne trouva point de général d’armée qui s’accommodât de son joug, il devenoit son ennemi, et encore celui de l’État, en lui faisant, tant qu’il pouvoit, manquer toutes ses entreprises. On feroit un livre de ces sortes de crimes ; aussi ne servoit-il plus, il y avoit très-longtemps, parce que aucun général ne le vouloit dans son armée, pour en avoir tous tâté. Il a laissé des Mémoires sur la guerre, qui seroient un chef-d’œuvre en ce genre, et savamment, clairement, précisément et noblement écrits, si, comme un chien enragé, il n’avoit pas déchiré, et souvent mal à propos, tous les généraux sous lesquels il a servi. Aussi mourut-il pauvre, sans récompense et sans amis. Il n’avoit qu’une pension de six mille livres,