Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/51

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examiner la question ; qu’elle étoit indubitable, et que de plus, quoiqu’il dût s’attendre à des oppositions, il tâcheroit de mériter, par sa conduite, de s’en attirer une dont il n’eût pas lieu de se plaindre ; que d’ailleurs c’étoit si peu de chose pour chacun des ducs de reculer d’un pas, et pour lui une si grande fortune que de se trouver leur confrère, et du même coup à leur tête, qu’il ne savoit si beaucoup s’opposeroient bien sérieusement à lui ; que par là devenu duc et pair sans grâce, personne ne seroit en droit d’exemple d’importuner Sa Majesté ; qu’il espéroit assez de ses bontés pour oser se flatter qu’il ne seroit point fâché de le voir en ce rang, sans qu’il lui en coûtât rien.

C’étoit là toucher le roi par l’endroit sensible, après lui avoir menti de point en point sur tous les faits qu’il avoit avancés, et avoir mis dans son discours tout l’art du plus délié et du plus expérimenté courtisan. Il étoit vrai que, le roi subjugué par lui, il étoit hors de portée du refus. Mais la prostitution des dignités et l’outrecuidance française y portoit des gens que le roi ne vouloit ni faire ni mécontenter. Mais la raison intime, et que d’Antin avoit bien sentie, étoit la jalousie du roi contre ses favoris, dont il redoutoit autant l’apparence d’être gouverné, comme il leur en abandonnoit la réalité de bonne grâce. La faveur si éclatante de d’Antin n’avoit pas besoin d’un nouvel accroissement aux yeux du monde ; et il sut mettre le roi si avant dans ses intérêts, par ce tour adroit et si ajusté à son goût, que la partialité du roi eut peine à demeurer en quelques bornes. Parler donc en ce sens et obtenir ne fut qu’une même chose, laquelle fut plus tôt faite qu’éventée.

Le lendemain dimanche j’entrai dans le salon vers l’heure que le roi alloit sortir pour la messe. Je m’approchai d’abord d’une des cheminées, où La Vrillière se chauffoit avec je ne sais plus qui. À peine les eus-je joints que La Vrillière m’apprit la nouvelle. Je baissai la tête et haussai les épaules. Il me demanda ce que j’en pensois. Je lui dis que je croyois que le triomphe ne coûteroit