Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/113

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mettre gens et choses en leurs places. Instruit au dernier point de tout ce qui doit régler cet ordre par maximes, par justice et par raison, et attentif, avant qu’il fût le maître, de rendre à l’âge, au mérite, à la naissance, au rang, la distinction propre à chacune de ces choses, et de la marquer en toutes occasions. Ses desseins allongeroient trop ces Mémoires. Les expliquer seroit un ouvrage à part, mais un ouvrage à faire mourir de regrets. Sans entrer dans mille détails sur le comment, sur les personnes, je ne puis toutefois m’en refuser ici quelque chose en gros. L’anéantissement de la noblesse lui étoit odieux, et son égalité entre elle insupportable. Cette dernière nouveauté qui ne cédoit qu’aux dignités, et qui confondoit le noble avec le gentilhomme, et ceux-ci avec les seigneurs, lui paraissoit de la dernière injustice, et ce défaut de gradation une cause prochaine [de ruine] et destructive d’un royaume tout militaire. Il se souvenoit qu’il n’avoit dû son salut dans ses plus grands périls sous Philippe de Valois, sous Charles V, sous Charles VII, sous Louis XII, sous François I, sous ses petits-fils, sous Henri IV, qu’à cette noblesse, qui se connoissoit et se tenoit dans les bornes de ses différences réciproques, qui avoit la volonté et le moyen de marcher au secours de l’État, par bandes et par provinces, sans embarras et sans confusion, parce qu’aucun n’étoit sorti de son état, et ne faisoit difficulté d’obéir à plus grand que soi. Il voyoit au contraire ce secours éteint par les contraires ; pas un qui n’en soit venu à prétendre l’égalité à tout autre, par conséquent plus rien d’organisé, plus de commandement et plus d’obéissance.

Quant aux moyens, il étoit touché, jusqu’au plus profond du cœur, de la ruine de la noblesse, des voies prises et toujours continuées pour l’y réduire et l’y tenir, de l’abâtardissement que la misère et le mélange du sang par les continuelles mésalliances nécessaires pour avoir du pain, avoient établi dans les courages et pour valeur, et pour vertu, et pour sentiments. Il étoit indigné de voir cette