Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/199

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lui faire chez tous les gens indifférents, raisonnables et raisonnants, qui choquoient directement l’intérêt si cher de M. du Maine, et la volonté si déployée de Mme de Maintenon. C’est ce que mes amis voyoient clairement, c’est ce qu’ils me foisoient sentir tant qu’ils pouvoient, c’est ce que je fus quelque temps à ne vouloir pas croire, c’est ce que j’aperçus enfin très-distinctement, et que je méprisai aussi parfaitement. Ce n’est pas que j’ignorasse le danger de me les attirer et que je ne visse le roi derrière eux en croupe, et tout à leur disposition, mais je ne crus pas que mon intime liaison avec M. le duc d’Orléans dût par frayeur et par bassesse leur servir d’un nouveau poids pour l’accabler par mon changement de conduite. J’étois plus qu’en tout abri de lui être associé dans les clameurs élevées contre lui ; je n’avois donc à craindre que des querelles d’Allemand pour m’éloigner et me perdre sous d’autres prétextes, et je me résolus à en courir les risques, en évitant avec soin e sagesse toute prise sur moi. Je fus plusieurs fois averti que le roi étoit mécontent, tantôt de m’avoir vu de ses fenêtres dans les jardins avec son neveu, tantôt que Mme de Maintenon étoit surprise de ce que seul en toute la cour j’osois l’aborder et le voir. Elle-même et M. du Maine, qui se cachoit sous ses ailes, étoient bien aises de me faire revenir ces choses pour m’inquiéter et pour me faire changer à l’égard de M. le duc d’Orléans, et cela dura entre les deux voyages de Marly, et augmenta fort durant le second qui est celui dont je parle, et pendant lequel se fit l’enterrement à Saint-Denis, parce que l’éclat des cris et des insultes du peuple au convoi et les échos du monde et de la cour redoublèrent, et que Marly est fait de façon qu’on me voyoit à découvert tous les jours avec M. le duc d’Orléans. Tant fut procédé enfin que, quelque temps après l’enterrement et sur la fin du voyage de Marly, M. de Beauvilliers me pressa d’aller à la Ferté, même avant le retour à Versailles, et de laisser de loin conjurer l’orage qu’il voyoit se former contre moi.