Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/278

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à leur tour, et on entendit un fracas qui ébranla tout. Chacun accourut ; on trouva le carrosse brisé, la grande porte fracassée, les grilles des jardins qui fermoient les côtés de la cour enfoncées, les barrières en pièces, enfin un désordre qu’on fut longtemps à réparer. M. de Chevreuse, que ce vacarme n’avoit pu distraire un instant, fut tout étonné quand il l’apprit, et M. de Beauvilliers se divertit longtemps à le lui reprocher et à lui en demander les frais. Une autre aventure, à laquelle M. de Chevreuse ne tenoit point, lui arriva encore à Vaucresson, et le mettoit dans un embarras véritable, mais plaisant à voir, toutes les fois qu’on la lui remettoit. Sur les dix heures du matin, on lui annonça un M. Sconin, qui avoit été son intendant, qui s’étoit mis à choses à lui plus utiles, où M. de Chevreuse le protégeoit. Il lui fit dire de faire un tour de jardin, et de revenir dans une demi-heure. Il continua ce qu’il faisoit et oublia parfaitement son homme. Sur les sept heures du soir, on le lui annonce encore : « Dans un moment, » répondit-il sans s’émouvoir. Un quart d’heure après, il l’appelle et le fait entrer. « Ah ! mon pauvre Sconin, lui dit-il, je vous fais bien des excuses de vous avoir fait perdre votre journée. — Point du tout, monseigneur, répond Sconin ; comme j’ai l’honneur de vous connoître il y a bien des années, j’ai compris ce matin que la demi-heure pourroit être longue, j’ai été à Paris, j’y ai fait, avant et après dîner, quelques affaires que j’avois, et j’en arrive. » M. de Chevreuse demeura confondu. Sconin ne s’en tut pas, ni les gens mêmes de M. de Chevreuse. M. de Beauvilliers s’en divertit, et quelque accoutumé que M. de Chevreuse fût à ces badinages, il ne résistoit point à voir remettre ce conte sur le tapis. J’ai rapporté ces deux-là dont je me suis plutôt souvenu que de cent autres de même nature, sur lesquels on ne finiroit point, mais que j’ai voulu écrire ici parce qu’ils caractérisent.

Le chancelier disoit de ces deux beaux-frères qu’ils n’étoient, comme en effet, « qu’un cœur et qu’une âme ; que