Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/284

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pensées que cela pouvoit leur donner. On ne finiroit point sur toutes ses folies. Il voulut faire arracher des dents de devant à ses filles parce qu’elles étoient belles, de peur qu’elles y prissent trop de complaisance. Il ne faisoit qu’aller de terre en terre ; et il promena pendant quelques années le corps de Mme Mazarin qu’il avoit fait apporter d’Angleterre, partout où il alloit. Il vint à bout, de la sorte, de la plupart de tant de millions, et ne conserva que le gouvernement d’Alsace et deux ou trois gouvernements particuliers. C’étoit un assez grand et gros homme, de bonne mine, qui manquoit de l’esprit, à ce qu’il me parut une fois que je le vis chez mon père, lorsqu’il fut chevalier de l’ordre en 1688. Depuis sa retraite dans ses terres, il ne fit plus que trois ou quatre apparitions de quelques jours à Paris et à la cour où le roi le recevoit toujours avec un air d’amitié et de distinction marquée. Il faut maintenant ajouter un mot de curiosité sur un homme et une fortune aussi extraordinaires. Son nom de famille étoit La Porte. On prétend qu’il leur est venu de ce que leur auteur étoit portier d’un conseiller au parlement, dont le fils devint un très-célèbre avocat à Paris, lequel très-certainement étoit le grand-père du maréchal de La Meilleraye. Cet avocat La Porte étoit avocat de l’ordre de Malte, et le servit si utilement que l’ordre, en reconnoissance, reçut de grâce son second fils, qui devint un homme d’un mérite distingué, et commandeur de la Madeleine près de Parthenay. Ce La Porte, qui s’étoit fort enrichi, étoit aussi avocat de M. de Richelieu. Il acquit quelque bien dans son voisinage, et s’affectionna tellement à sa famille, que, voyant qu’après avoir mangé tout son bien [1] et laissé sa maison ruinée, il prit un fils qu’il avoit laissé pour son gendre, qui, avec ce secours, se releva, et mourut en 1590 à quarante-deux ans, chevalier du Saint-

  1. Reproduction textuelle du manuscrit. Le sens est voyant que M. de Richelieu avoit mangé tout son bien, etc.