Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/297

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put tirer de son ancienne et constante faveur, de son ascendant sur le roi, de son âge, de son aveuglement du désespoir où il étoit, et de la désolation de sa maison. Il redoubla ses cris, ses pleurs, ses furies ; et il étourdit si bien le roi que, moitié compassion de ce vieillard qu’il avoit si longtemps aimé, moitié désir de finir une scène si importune, il lui accorda ce qu’il lui demanda, contre toutes les lois et les règles, contre les termes de l’érection et de l’enregistrement de tous les duchés, et de celui de La Rochegnyon comme de tous les autres, contre l’orgueil d’assimiler quelqu’un à ses bâtards ; et il permit au duc de La Rocheguyon de céder ce duché vérifié à M. de Durtal, son second fils, et de faire de ce cadet tige nouvelle de ducs de La Rocheguyon, de la même ancienneté de l’érection faite pour le père, en en dépouillant son aîné et sa postérité qui y étoit uniquement et distinctement appelé. L’étonnement de la cour, pour ne rien dire de plus, surpassa encore la joie de MM. de La Rochefoucauld père et fils. Ce dernier se démit, dès que les patentes furent faites, de la terre et de la dignité de La Rocheguyon, en faveur du comte de Durtal, qui prit aussitôt le nom et le rang de duc de La Rocheguyon. Ce fut par donation entre vifs pour la terre, dont le père retint les revenus qui sont de quatre-vingt mille livres de rente, avec un superbe château, et les plus beaux droits du monde, au bord de la Seine et près de Paris. L’abbé, qui se voyoit si étrangement frustré, espéra bien y revenir en d’autres temps, et les ducs postérieurs aussi.

L’affaire consommée, M. de La Rochefoucauld se fit encore conduire dans le cabinet du roi. Il y recommença ses plaintes et ses douleurs, et il obtint encore que le roi parleroit à son petit-fils qu’il n’avoit jamais vu, pour l’engager à opter. L’abbé fut donc obligé de venir trouver le roi, dont il ne douta pas d’être maltraité. Il y fut heureusement trompé : le roi lui parla avec une bonté de père, et l’abbé lui répondit avec tant de respect, de sagesse et de raison