Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/332

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lui partout, hors dans la mienne, comme je le prétendois bien aussi. Il fut enragé, outré, et ne put se tenir les deux premiers jours. Je ne sais qui lui fit sentir sa folie, et combien il déplairoit au roi et à M. du Maine, et me donneroit lieu de me moquer de lui : cela le fit passer d’une extrémité à l’autre. Il débita qu’il avoit obtenu tout ce qu’il désiroit, fit la meilleure mine qu’il put, mais il ne sut durer vis-à-vis de moi, et au bout de huit jours il s’en retourna brusquement en Guyenne. Ce règlement portoit qu’il seroit enregistré dans l’hôtel de ville de Blaye ; je n’y perdis pas de temps, et le maréchal en arrivant à Bordeaux en trouva partout des copies répandues qui le comblèrent de rage et de fureur. Ce fut pourtant une rage mue [1], car je fis diverses punitions, et même emprisonner des bourgeois de Blaye, et longtemps, pour lui avoir porté des plaintes, leur faisant dire publiquement que c’étoit précisément pour cela, et je le fis publier. Le maréchal avala la pilule et n’osa ni branler ni se plaindre. Oncques depuis il ne se mêla de quoi que ce pût être du gouvernement de Blaye, et nous n’avons pas ouï parler l’un de l’autre.

J’aurois été infiniment content sans l’incroyable noirceur de Pontchartrain. On a vu qu’ayant les plus fortes raisons de contribuer à sa perte, et ayant tout à fait rompu avec lui, bien loin de lui nuire je l’avois sauvé ; que de là j’avois fait le raccommodement et la réunion sincère de son père avec le duc de Beauvilliers malgré ce dernier lors tout-puissant, et que de là j’étois rentré dans les termes ordinaires avec Pontchartrain, qui, à l’exemple de son père, n’avoit pu se dispenser de me combler de remercîments et de protestations de reconnoissance éternelle. Cette reconnoissance néanmoins n’avoit pas encore été jusqu’alors à ôter ce qui avoit été entre nous la pierre de scandale. Il ne me parloit point des milices

  1. On appelle rage mue celle où l’animal atteint de cette maladie écume sans mordre.