Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/334

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dans un objet quand on y postposoit toutes choses, et que bien fermement je sacrifierois tout et ma propre fortune, grandeur, faveur, biens et tout ce qui pourroit me flatter en ma vie, à la ruine et à la perte radicale de Pontchartrain, sans que rien me pût jamais détourner d’y travailler sans cesse, et d’y mettre tout ce qui seroit en moi, sans qu’il y eût considération quelconque qui m’en pût détourner un seul instant, et qu’avec cette suite et ce travail infatigable, quelquefois on parvenoit à réussir dans un temps ou dans un autre. La Chapelle eut beau chercher à m’apaiser et des expédients sur la chose, je lui dis que je n’en voulois ouïr parler de ma vie ; que Pontchartrain jouiroit de mes milices en pleine tranquillité, et moi de l’espérance et du plaisir de travailler de tout mon esprit et de tout ce qui seroit en moi et sans relâche à le perdre et à le culbuter ; et je sortis de sa chambre, qui étoit tout en haut chez Pontchartrain au château. La Chapelle, dans l’effroi de la fureur avec laquelle je lui avois fait une déclaration si nette, descendit sur-le-champ chez le chancelier, à qui il conta tout. Il n’y avoit pas une demi-heure que je m’étois renfermé dans ma chambre qu’un valet de chambre du chancelier vint me prier instamment de sa part de vouloir bien aller sur-le-champ chez lui. Je m’y rendis.

Je le trouvai qui se promenoit seul dans son cabinet fort triste, et l’air fort en peine. Dès qu’il me vit : « Monsieur, me dit-il, qu’est-ce que La Chapelle vient de me conter ? cela peut-il être possible ? — Et de quoi s’est-il avisé, monsieur, répondis-je, de vous l’aller conter ? » Le chancelier me redit mot pour mot ce que j’avois dit à La Chapelle ; je convins qu’il n’y avoit pas un mot de changé, et j’ajoutai que c’étoit ma résolution bien ferme et bien arrêtée dont rien dans le monde ne m’ébranleroit ; que j’étois fâché que La Chapelle eût été indiscret ; mais que, puisqu’il l’avoit été jusqu’à la lui dire, j’étois trop vrai pour la lui dissimuler. Il n’y eut rien que le chancelier ne me dît et n’employât