Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/54

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la mine, si artistement chargée, joua avec tout l’effet que les mineurs s’en étoient promis. Le roi fut accablé de lettres d’évêques hypocritement tremblants pour la foi, et qui, dans le péril extrême où ils trouvoient que le cardinal de Noailles la mettoit, se sentoient forcés par leur conscience, et pour la conservation du précieux dépôt qui leur étoit confié, et dont le père de famille leur redemanderoit un rigoureux compte, de se jeter aux pieds du fils aîné de l’Église, du destructeur de l’hérésie, du Constantin, du Théodose de nos jours, pour lui demander la protection qu’il n’avoit jamais refusée à la bonne et sainte doctrine. Ce pathétique, tourné en diverses façons, fut soutenu de la frayeur mensongère dont étoient saisis de pauvres évêques inconnus, qui se trouvoient avoir à combattre l’archevêque de la capitale, orné de la pourpre romaine, puissant en famille, en amis, en faveur, en crédit. Le fracas fut grand ; et le roi, à qui ces lettres étoient à tous moments présentées à pleines mains par le P. Tellier, et par lui bien commentées, entra dans un effroi comme si la religion eût été perdue. Mme de Maintenon reçut aussi quelques lettres semblables, que l’évêque de Meaux lui faisoit d’autant mieux valoir qu’il étoit dans la bouteille, et Mme de Maintenon animoit le roi de plus en plus. Mais au plus fort de ce triomphe, il arriva un malheur qui eût fait avorter une affaire si fortement conduite, si le cardinal de Noailles eût bien voulu prendre la peine d’en profiter.

Je répète ici que je ne prétends pas grossir ces Mémoires du récit d’une affaire qui remplit des in-folio, mais en coter seulement les endroits qui m’ont passé par les mains. Je renvoie donc à ces livres le comment de ceci avec tout le reste ; mais il arriva que la lettre originale du P. Tellier à l’évêque de Clermont, qui le pressoit d’écrire au roi, et l’instruisoit pour l’y résoudre de la pareille démarche à lui promise par beaucoup d’évêques ; le modèle tout fait de sa lettre au roi qu’il n’avoit qu’à faire copier, la signer, et la