Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/96

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cessa point d’exercer sur les âmes de sa famille. Quelle fut sa surprise, quelle fut celle de la cour, lorsque, dans ces moments si terribles où on ne redoute plus que ce qui les suit, et où tout le présent disparaît, elle voulut changer de confesseur, dont elle répudia même tout l’ordre, pour recevoir les derniers sacrements ! On a vu ailleurs qu’il n’y avoit que son époux et le roi qui fussent dans l’ignorance, que Mme de Maintenon n’y étoit pas, et qu’elle étoit extrêmement occupée qu’ils y demeurassent profondément l’un et l’autre tandis qu’elle lui faisoit peur d’eux ; mais elle aimoit ou plutôt elle adoroit la princesse, dont les manières et les charmes lui avoient gagné le cœur ; elle en amusoit le roi fort utilement pour elle ; elle-même s’en amusoit et, ce qui est très-véritable quoique surprenant, elle s’en appuyoit et quelquefois se conseilloit à elle. Avec toute cette galanterie, jamais femme ne parut se soucier moins de sa figure, ni y prendre moins de précaution et de soin ; sa toilette étoit faite en un moment, le peu même qu’elle duroit n’étoit que pour la cour ; elle ne se soucioit de parure que pour les bals et les fêtes, et ce qu’elle en prenoit en tout autre temps, et le moins encore qu’il lui étoit possible, n’étoit que par complaisance pour le roi.

Avec elle s’éclipsèrent joie, plaisirs, amusements même, et toutes espèces de grâces ; les ténèbres couvrirent toute la surface de la cour ; elle l’animoit tout entière, elle en remplissoit tous les lieux à la fois, elle y occupoit tout, elle en pénétroit tout l’intérieur. Si la cour subsista après elle, ce ne fut plus que pour languir. Jamais princesse si regrettée, jamais il n’en fut si digne de l’être, aussi les regrets n’en ont-ils pu passer, et l’amertume involontaire et secrète en est constamment demeurée, avec un vide affreux qui n’a pu être diminué.

Le roi et Mme de Maintenon, pénétrés de la plus vive douleur, qui fut la seule véritable qu’il ait jamais eue en sa vie, entrèrent d’abord chez Mme de Maintenon en arrivant à