Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/99

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Le Dauphin, qui entra par les cabinets, trouva tout ce monde dans la chambre du roi qui, dès qu’il le vit, l’appela pour l’embrasser tendrement, longuement et à reprises. Ces premiers moments si touchants ne se passèrent qu’en paroles fort entrecoupées de larmes et de sanglots.

Le roi, un peu après, regardant le Dauphin, fut effrayé des mêmes choses dont nous l’avions été dans sa chambre. Tout ce qui étoit dans celle du roi le fut, les médecins plus que les autres. Le roi leur ordonna de lui tâter le pouls, qu’ils trouèrent mauvais, à ce qu’ils dirent après ; pour lors ils se contentèrent de dire qu’il n’étoit pas net, et qu’il seroit fort à propos qu’il allât se mettre au lit. Le roi l’embrassa encore, lui recommanda fort tendrement de se conserver, et lui ordonna de s’aller coucher ; il obéit, et ne se releva plus. Il étoit assez tard dans la matinée ; le roi avoit passé une cruelle nuit, et avoit fort mal à la tête ; il vit à son dîner le peu de courtisans considérables qui s’y présentèrent. L’après-dînée il alla voir le Dauphin dont la fièvre étoit augmentée et le pouls encore plus mauvais, passa chez Mme de Maintenon soupa seul chez lui, et fut peu dans son cabinet après, avec ce qui avoit accoutumé d’y entrer. Le Dauphin ne vit que ses menins, et des instants, les médecins, peu de suite, M. son frère, assez son confesseur, un peu M. de Chevreuse, et passa sa journée en prières, et à se faire faire de saintes lectures. La liste pour Marly se fit, et les admis advertis comme il s’étoit pratiqué à la mort de Monseigneur, qui arrivèrent successivement.

Le lendemain dimanche le roi vécut comme il avoit fait la veille. L’inquiétude augmenta sur le Dauphin. Lui-même ne cacha pas à Boudin, en présence de du Chesne et de M. de Cheverny, qu’il ne croyoit pas en relever, et qu’à ce qu’il sentoit, il ne doutoit pas que l’avis que Boudin avoit eu ne fût exécuté. Il s’en expliqua plus d’une fois de même, et toujours avec un détachement, un mépris du monde, et de tout ce qu’il a de grand, une soumission et un amour de