Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/249

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d’autres, et s’en immole encore tous les jours depuis trente ans.

Détournons nos yeux d’un spectacle si terrible, pour nous consoler par l’heureuse fin d’un prédestiné. M. de Saint-Louis étoit un gentilhomme de bonne noblesse, dont le nom étoit Le Loureux, qui parvint à avoir un régiment de cavalerie. Il servit même de brigadier avec grande distinction, honoré de l’estime, de l’amitié et de la confiance des généraux sous lesquels il servit, particulièrement de M. de Turenne ; et le roi, sous les yeux duquel il servit aussi, lui a toujours marqué de l’estime et de la bonté, et en a souvent parlé en ces termes, même plusieurs fois depuis sa retraite. Il étoit des pays d’entre le Perche et le comté d’Évreux ; il y alloit quelquefois les hivers, et cette situation lui fit connaitre M. de la Trappe, à qui, sans l’avoir jamais vu et sur la seule réputation de la réforme qu’il entreprenoit, [il alla] offrir ses services dans un temps où il n’étoit pas en sûreté à la Trappe de la part des anciens religieux, qui jusqu’alors y avoient étrangement vécu, et qui ne se cachoient pas de vouloir s’en défaire.

Cette action toucha M. de la Trappe ; tout ce que Saint-Louis remarqua en lui le charma. Il ne fit plus de voyage chez lui qu’il n’allât voir M. de la Trappe. Il avoit eu un œil crevé du bout d’une houssine en châtiant son cheval. La fluxion gagna l’autre œil, qu’il fut en danger de perdre, lorsque le roi conclut cette trêve de vingt ans, que la guerre de 1688 rompit. Ces circonstances rassemblées déterminèrent Saint-Louis à se retirer du service. Il vendit son régiment au fils aîné de Villacerf, pour lequel on le fit Royal-Anjou, et qui fut tué à la tête. Saint-Louis eut une assez forte pension du roi, qui témoigna le regretter. Les réflexions lui vinrent dans son loisir. Dieu le toucha ; il résista. À la fin, la grâce plus forte le conduisit à la Trappe.

M. de la Trappe le mit dans le logis qu’il venoit de bâtir au dehors de l’enceinte de son monastère, pour y loger les