Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/100

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jamais mis en vraie colère contre moi. Je rapporterai l’autre en son temps.

Deux ou trois ans après la mort du roi, je causois à un coin de la longue et grande pièce de l’appartement des Tuileries, comme le conseil de régence alloit commencer dans cette même pièce où il se tenoit toujours tandis que M. le duc d’Orléans étoit tout à l’autre bout, parlant à quelqu’un, dans une fenêtre. Je m’entendis appeler comme de main en main ; on me dit que M. le duc d’Orléans me vouloit parler. Cela arrivoit souvent en se mettant au conseil. J’allai donc à cette fenêtre où il étoit demeuré. Je trouvai un maintien sérieux, un air concentré, un visage fâché qui me surprit beaucoup. « Monsieur me dit-il d’abordée, j’ai fort à me plaindre de vous que j’ai toute ma vie compté pour le meilleur de mes amis. — Moi, monsieur ! plus étonné encore, qu’y a-t-il donc, lui dis-je, s’il vous plaît ? — Ce qu’il y a, répondit-il avec une mine encore plus colère, chose que vous ne sauriez nier, des vers que vous avez faits contre moi. — Moi, des vers ! répliquai-je ; eh ! qui diable vous conte de ces sottises-là ? et depuis près de quarante ans que vous me connoissez, est-ce que vous ne savez pas que de ma vie je n’ai pu faire, non pas deux vers, mais un seul ? — Non, par…, reprit-il, vous ne pouvez nier ceux-là, et tout de suite me chante un pont-neu à sa louange dont le refrain étoit : Notre régent est débonnaire, la, la, il est débonnaire, avec un grand éclat de rire. — Comment, lui dis-je, vous vous en souvenez encore ! et en riant aussi, pour la vengeance que vous en prenez, souvenez-vous-en du moins à bon escient. » Il demeura à rire longtemps, à ne s’en pouvoir empêcher avant de se mettre au conseil. Je n’ai pas craint d’écrire cette bagatelle, parce qu’il me semble qu’elle peint.

Il aimoit fort la liberté, et autant pour les autres que pour lui-même. Il me vantoit un jour l’Angleterre sur ce point, où il n’y a point d’exils ni de lettres de cachet, et le roi