Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/101

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ne peut défendre que l’entrée de son palais ni tenir personne en prison, et sur cela me conta en se délectant, car tous nos princes vivoient lors, qu’outre la duchesse de Portsmouth, Charles II avoit bien eu de petites maîtresses ; que le grand prieur, jeune et aimable en ce temps-là, qui s’étoit fait chasser pour quelque sottise, étoit allé passer son exil en Angleterre, où il avoit été fort bien reçu du roi. Pour le remercîment, il lui débaucha une de ces petites maîtresses dont le roi étoit si passionné alors, qu’il lui fit demander grâce, lui offrit de l’argent, et s’engagea de le raccommoder en France. Le grand prieur tint bon. Charles lui fit défendre le palais. Il s’en moqua et alloit tous les jours à la comédie avec sa conquête, et s’y plaçoit vis-à-vis du roi. Enfin le roi d’Angleterre, ne sachant plus que faire pour s’en délivrer, pria tellement le roi de le rappeler en France, qu’il le fut. Mais le grand prieur tint bon, dit qu’il se trouvoit bien en Angleterre, et continua son manège. Charles outré en vint jusqu’à faire confidence au roi de l’état où le mettoit le grand prieur, et obtint un commandement si absolu et si prompt qu’il le fit repasser incontinent en France. M. le duc d’Orléans admiroit cela, et je ne sais s’il n’auroit pas voulu être le grand prieur. Je lui répondis que j’admirois moi-même que le petit-fils d’un roi de France se pût complaire dans un si insolent procédé que moi sujet, et qui, comme lui, n’avois aucun trait au trône, je trouvois plus que scandaleux et extrêmement punissable. Il n’en relâcha rien, et faisoit toujours cette histoire avec volupté. Aussi d’ambition de régner ni de gouverner n’en avoit-il aucune. S’il fit une pointe tout à fait insensée pour l’Espagne, c’est qu’on la lui avoit mise dans la tête. Il ne songea même, comme on le verra, tout de bon à gouverner que lorsque force fut d’être perdu et déshonoré, ou d’exercer les droits de sa naissance ; et, quant à régner, je ne craindrai pas de répondre que jamais il ne le désira, et que, le cas forcé arrivé, il s’en seroit trouvé également importuné et embarrassé. Que vouloit-il