Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/127

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avec le roi qu’à souper, et où la table de Mme la duchesse de Bourgogne, et les fréquents retours de chasse de Monseigneur et des deux princes ses fils étoient disparus avec eux, donna moyen à Mme la duchesse d’Orléans de rechercher du monde pour ses dîners. C’est ce qu’elle entreprit dès avant la mort de M. le duc de Berry avec peu de succès. Les dames qu’elle invitoit, ou par les siennes ou le plus souvent par elle-même, étoient fertiles en excuses. On redoutoit la compagnie de M. le duc d’Orléans. Les plus avisées épioient ses tours à Paris pour dîner chez Mme sa femme, et s’en tenir quittes après pour longtemps. On craignoit le roi, c’est-à-dire Mme de Maintenon, et les plus au fait, M. du Maine ; et ces refus se soutinrent longtemps, comme à la mode, jusque-là qu’on cherchoit à se disculper et d’y être laissé entraîner, par la presse qu’on en avoit essuyée, et qui ne pouvoit plus donner lieu à de plus longs refus. Les hommes étoient encore plus embarrassants que les femmes, parce que le rang de petite-fille de France n’en permettoit à leur table que de titrés.

Mme la duchesse d’Orléans, qui sentit enfin l’importance de rompre une si indécente barrière qui la séparoit du monde, à cause de M. son mari, et qu’elle ne pouvoit rapprivoiser avec elle sans le rapprocher de lui, ne se rebuta point, et prit les manières les plus convenables autant qu’il fut en elle pour fondre ces glaces et faire fleurir sa table et son appartement. Le travail fut également dégoûtant et opiniâtre, mais enfin il réussit. On s’enhardit enfin les uns à l’exemple des autres, et le nombre qui s’augmenta peu à peu s’appuya sur le nombre même pour s’appuyer et s’augmenter de plus en plus. La table étoit exquise, et la contrainte à la fin, tout respect et décence gardés, y devint peu perceptible. M. le duc d’Orléans y contint la liberté de ses discours, il s’y mit peu à peu à converser quand il n’y trouvoit point de véritable contrebande, mais de choses publiques, générales, convenables, incapables d’embarrasser