Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/129

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c’est [ce] qu’on tâchera de développer après que, pour le mieux entendre, on aura exposé l’état intérieur de la famille de M. le duc d’Orléans, qui alors ne consistoit qu’en Mme la duchesse de Berry et Madame.

On a pu sentir quelle étoit Mme la duchesse de Berry en plusieurs endroits de ces Mémoires, mais on la verra bientôt faire un personnage si singulier en soi, et par rapport à M. son père, devenu régent du royaume, que je ne craindrai point quelque légère répétition pour la faire connoître autant qu’il est nécessaire. Cette princesse étoit grande, belle, bien faite, avec toutefois assez peu de grâce, et quelque chose dans les yeux qui faisoit craindre ce qu’elle était. Elle n’avoit pas moins que père et mère le don de la parole, d’une facilité qui couloit de source, comme en eux, pour dire tout ce qu’elle vouloit et comme elle le vouloit dire avec une netteté, une précision, une justesse, un choix de termes et une singularité de tour qui surprenoit toujours. Timide d’un côté en bagatelles, hardie d’un autre jusqu’à effrayer, hardie jusqu’à la folie, basse aussi jusqu’à la dernière indécence, il se peut dire qu’à l’avarice près, elle étoit un modèle de tous les vices, qui étoit d’autant plus dangereux qu’on ne pouvoit pas avoir plus d’art ni plus d’esprit. Je n’ai pas accoutumé de charger les tableaux que je suis obligé de présenter pour l’intelligence des choses, et on s’apercevra aisément combien je suis étroitement réservé sur les dames, et sur toute galanterie qui n’a pas une relation indispensable à ce qui doit s’appeler important. Je le serois ici plus que sur qui que ce soit par amour-propre, quand ce ne seroit pas par respect du sexe et dignité de la personne. La part si considérable que j’ai eue au mariage de Mme la duchesse de Berry, et la place que Mme de Saint-Simon, quoique bien malgré elle et malgré moi, a occupée et conservée auprès d’elle jusqu’à la mort de cette princesse, seroient pour moi de trop fortes raisons de silence, si ce silence ne jetoit pas des ténèbres sur toute la suite de ce qui