Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/133

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qu’à se tourmenter tous deux, elle cessa ses poursuites, mais la passion continua jusqu’à la mort de M. le duc de Berry et quelque temps après. Voilà quelle fut la dépositaire du cœur et de l’âme de M. le duc d’Orléans, qui sut pleinement toute cette histoire, qui en fut dans les transes les plus extrêmes, non d’un enlèvement impossible, et auquel La Haye n’avoit garde de se commettre, mais des éclats et des aventures dont tout étoit à craindre de cet esprit hors de soi, et qui devant et après n’en fut pas moins la dépositaire des secrets de M. son père tant qu’elle vécut, et qui lui en donna d’autres encore qui se trouveront en leur temps.

Jamais elle n’avoit reçu que douceur, amitié, présents de Mme la duchesse d’Orléans. Elle n’avoit d’ailleurs presque jamais été auprès d’elle. Elle n’avoit donc point été à portée de ces petites choses qui fâchent quelquefois les enfants. Mais son orgueil étoit si extrême qu’elle regardoit en soi, comme une tache qu’elle en avoit reçue, d’être fille d’une bâtarde, et en avoit conçu pour elle une aversion et un mépris qu’elle ne contraignit plus après son mariage, et que devant et après elle prit sans cesse à tâche d’attiser dans le cœur et dans l’esprit de M. le duc d’Orléans. L’orgueil de Mme sa mère n’étoit rien en comparaison du sien. Elle se figura devant et depuis son mariage qu’il n’y avoit qu’elle en Europe que M. le duc de Berry pût épouser, et qu’ils étoient tous deux but à but. On a vu en son temps que M. le duc d’Orléans lui confioit à mesure tout ce qui se passoit sur son mariage, parce qu’il ne pouvoit lui rien cacher ; qu’elle m’en raconta mille choses à Saint-Cloud lorsqu’il fut déclaré, pour que je ne pusse ignorer cette dangereuse confiance qu’elle ne put donc douter de tout ce qu’il y avoit eu à surmonter, et tout ce qu’elle me témoigna de sa reconnoissance. Elle ne fut pas trois mois mariée qu’elle montra sa parfaite ingratitude à tout ce qui y avoit eu part, et que lors de la scène qu’elle eut avec Mme de Lévi qu’elle avoit si cruellement trompée et jouée, de propos délibéré, sur la charge de premier