Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/160

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les gens de lettres et les savants pour en tirer, pour s’en faire honneur, pour s’en faire préconiser, n’ait jamais passé l’écorce de chaque matière, et que le peu de suite de son esprit, excepté pour l’intrigue, ne lui ait pu permettre d’approfondir rien, ni de suivre jamais, quinze jours, le même objet pour lequel tour à tour il avoit abandonné tous les autres. Ce fut même légèreté en affaires, par conséquent la même incapacité. Jamais il n’a pu faire un mémoire sur rien ; jamais il n’a pu être content de ceux qu’il a fait faire, toujours corriger, toujours refondre, c’étoit son terme favori ; on l’a vu dans la surprise que nous lui fîmes à Fontainebleau. Ce n’est pas tout : il n’a jamais pu tirer de soi une lettre d’affaires. Ses changements d’idées désoloient ceux qu’il employoit, et les accabloient d’un travail toujours le même, toujours à recommencer. C’est une maladie incurable en lui, et qui éclate encore par le désordre qu’elle a mis dans les expéditions, les amas en divers lieux, les ordres réitérés et changés dix, douze, quinze fois dans le même jour, et tous contradictoires, aux troupes qu’il a commandées dans ces derniers temps, et à son armée entière pour marcher ou demeurer, qui l’a rendu le fléau des troupes et des bureaux. Je ne parlerai point de sa capacité militaire, dont il vante volontiers les hauts faits ; je me tairai pareillement sur sa valeur personnelle ; j’en laisse le public juge ; je m’en rapporte à lui, et même aux armées ennemies opposées à la sienne en Italie, en Allemagne et en Flandre, et aux événements qui en ont résulté jusqu’en cette année 1745, en septembre.

Si cette partie a été si complètement dévouée, je puis m’assurer que le reste ne le sera pas moins clairement par les faits publics que j’ai à rapporter dans ce qui a accompagné et suivi la mort du roi, si j’ai le temps d’achever ces Mémoires, et que ceux que ce portrait aura épouvantés jusqu’à être tentés de le croire imaginaire se trouveront saisis d’horreur et d’effroi quand les faits auront prouvé, et des