Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/199

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des finances, j’aurois été trop fortement tenté de la banqueroute totale, et c’étoit un paquet dont je ne me voulois pas charger devant Dieu ni devant les hommes. Entre deux effroyables injustices, tant en elles-mêmes que par leurs suites, la banqueroute me paraissoit la moins cruelle des deux, parce qu’aux dépens de la ruine de cette foule de créanciers, dont le plus grand nombre l’étoit devenu volontairement par l’appât du gain, et dont beaucoup en avoient fait de grands, très difficiles à mettre au jour, encore plus en preuves, tout le reste du public étoit au moins sauvé, et le roi au courant, par conséquent diminution d’impôts infinie, et sur-le-champ. C’étoit un avantage extrême pour le peuple tant des villes que de la campagne qui est sans proportion, le très grand nombre, et le nourricier de l’État. C’en étoit un aussi extrêmement avantageux pour tout commerce au dehors et au dedans, totalement intercepté et tari par cette immensité de divers impôts.

Ces raisons qui se peuvent alléguer m’entraînoient ; mais j’étois touché plus fortement d’une autre que je n’explique ici qu’en tremblant. Nul frein possible pour arrêter le gouvernement sur le pied qu’il est enfin parvenu. Quelque disproportion que la découverte des trésors de l’Amérique ait mise à la quantité de l’or et de l’argent en Europe depuis que la mer y en apporte incessamment, elle ne répond en nulle sorte à la prodigieuse différence des revenus de nos derniers rois [qui n’alloient pas] à la moitié de ceux de Louis XIV. Nonobstant l’augmentation jusqu’à l’incroyable, j’avois bien présenté la situation déplorable de la fin d’un règne si long, si abondant, si glorieux, si naïvement représentée par ce qui causa et se passa au voyage de Torcy à la Haye, et depuis à Gertruydemberg, dont il ne fallut pas moins que le coup du ciel le plus inattendu pour sauver la France par l’intrigue domestique de l’Angleterre ; ce qui se voit dans les Pièces par les dépêches originales et les récits qui les lient, que j’ai eus de M. de Torcy. Il résulte donc par cet exposé