Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/218

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dans le parlement, où il avoit longtemps brillé avocat général.

M. le duc d’Orléans sentit qu’il n’y avoit rien de meilleur à faire que de se délivrer d’un ennemi à la chute duquel tout applaudiroit, et qui ne seroit regretté que de la cabale du duc du Maine et de celle de la constitution, et de se faire en même temps tout l’honneur possible d’un choix qui d’ailleurs lui seroit avantageux, et qui enlèveroit l’applaudissement général, sans qu’aucun osât se montrer mécontent ni compétiteur. Il y trouvoit encore l’avantage d’un âge qui laissoit l’espérance ouverte de succéder aux sceaux, espérance qui tiendroit les principaux prétendants dans une dépendance qui lui faciliteroit beaucoup l’intérieur des affaires qui ont à passer par les mains des magistrats.

Torcy étoit ami particulier des maréchaux de Villeroy, de Tallard et de Tessé. Sa sœur, qui avoit grand crédit sur lui, étoit de tout temps à Mme la Duchesse ; il n’avoit point de liaison avec M. du Maine, et n’étoit pas bien avec Mme de Maintenon. Sa société étoit contraire à M. le duc d’Orléans, ainsi que ses amis particuliers. J’en concluois qu’il lui étoit aussi contraire qu’eux. Je n’avois pas oublié ce qu’il avoit dit au roi de moi sur les renonciations que j’ai rapportées. Je n’avois jamais eu avec lui ni commerce, ni la plus légère relation. Les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers ne l’aimoient point du tout, quoique amis intimes de Pomponne, son beau-père, parce qu’ils le croyoient janséniste, et qu’ils n’avoient jamais fait grand cas de Croissy, ni de sa femme, pensant à leur égard comme Seignelay, leur beau-frère, avec qui ils avoient été intimement liés jusqu’à sa mort. Je ne connoissois donc Torcy que par avoir pensé me perdre, et par un extérieur emprunté, embarrassé et timide, que je prenois pour gloire ; je voulois donc l’écarter comme les autres ministres, en supprimant sa charge de secrétaire d’État. Je lui donnai force attaques auprès de M. le duc d’Orléans, et je m’irritois en moi-même du peu de progrès