Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/228

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qu’il étoit possible, et l’assurance la plus certaine d’avoir à jamais la nation pour soi et pour sa branche contre celle d’Espagne, ce qui faisoit également pour tous les princes du sang, et qui en augmentoit la force par le nombre et le poids des intéressés, il n’acquerroit ce suprême avantage que par un simple leurre auquel la nation se prendroit, et qui ne donnoit rien aux états généraux. Alors je lui fis sentir l’adresse et la délicatesse, à laquelle sur toutes choses il falloit bien prendre garde à s’attacher à coup sûr, que les états ne prononceroient rien, ne statueroient rien, ne confirmeroient rien ; que leur acclamation ne seroit jamais que ce qu’on appelle verba et voces, laquelle pourtant engageroit la nation à toujours par des liens d’autant moins dissolubles, qu’elle se tiendroit intéressée pour son droit le plus cher qu’elle croiroit avoir exercé et qu’elle soutiendroit, le cas avenant, en quelque temps que ce put être, par ce motif le plus puissant sur une nation, pour légère qu’elle puisse être, qui est de se croire en pouvoir de se donner un maître, et de régler la succession à la couronne, tandis qu’elle n’aura fait qu’une acclamation. Je fis prendre garde aussi à M. le duc d’Orléans à la même adresse et délicatesse pour l’acte par écrit en forme de simple certificat de l’acclamation, parce que le certificat pur et simple qu’une chose a été faite n’est qu’une preuve qu’elle a été faite, n’en peut changer l’être et la nature, ni avoir plus de force et d’autorité que la chose qu’il ne fait que certifier ; or cette chose n’étant ni loi, ni ordonnance, ni simple confirmation même, l’acte qui la certifie avoir été faite ne lui donne rien de plus qu’elle n’a ; ainsi le leurre est entier, tout y est vide, les états généraux n’en acquièrent aucun droit, et néanmoins M. le duc d’Orléans en a tout l’essentiel par cette erreur spécieuse et si intéressant toute la nation, qui, pour son plus cher intérêt à elle-même, la lie à lui pour jamais et a tous les autres princes du sang, pour l’exclusion de la branche d’Espagne de succéder à la couronne.