Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/282

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cas qu’il en fait. Je lui fis sentir le danger d’une maîtresse dans la place qu’il alloit remplir, et je le conjurai que, s’il avoit là-dessus des faiblesses, il eût soin de changer continuellement d’objet, pour ne se laisser pas prendre et subjuguer par l’amour qui naîtroit de l’habitude, et de se conduire dans cette misère avec toutes les précautions qu’y apportent certains prélats qui veulent conserver leur réputation par le secret profond de leur désordre.

Je lui représentai qu’il auroit désormais tant d’occupations, et si intéressantes, qu’il lui seroit aisé de ne plus dépendre de son corps, si son esprit n’étoit plus corrompu que l’animal de son âge, et qu’il avoit un intérêt si pressant de se faire aimer, estimer, respecter, considérer et obéir, que c’étoit bien de quoi contenir et occuper son esprit. Qu’en toutes choses la mécanique étoit bien plus importante qu’elle ne sembloit l’être ; que celle de ses journées serviroit entièrement à la règle des affaires et à sa réputation, à éviter que tout ne tombât l’un sur l’autre, et que lui-même pensât à la débauche, non pas même à regretter ces sortes de plaisirs. Que pour cela, il se falloit tout d’abord établir un arrangement de journée, d’affaires, de cour, et de quelque délassement qui se pût soutenir, et qui ne lui laissât aucun vide, auquel il falloit être fidèle, et se regarder comme faisoient les ministres du roi fort employés, qui disoient qu’ils n’avoient pas le temps de se déranger d’un quart d’heure, qui disoient vrai, et qui le pratiquoient. Ne se pas excéder d’une tâche trop forte, dont la nouveauté plaît d’abord, que l’importance des choses fait regarder comme nécessaire, mais dont on se lasse, et qui se change imperceptiblement à bien moins qu’il ne faut, dont on profite aux dépens du prince, et qui met bientôt les affaires en désordre. Se garder aussi de perdre beaucoup de temps en audiences, surtout de femmes, qui en demandent souvent pour fort peu de choses, qui dégénèrent en conversations et en plaisanteries, qui ont souvent un but dont le prince ne s’aperçoit pas, et qui tirent