Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/315

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bouche. Les bâtards, ou, pour mieux dire, M. du Maine le voyoit bien aussi, qui, aidé de Mme de Maintenon et de leur chancelier-secrétaire d’État, hâta tout ce qui le regardoit. Fagon, premier médecin, fort tombé de corps et d’esprit, fut de tout cet intérieur le seul qui ne s’aperçut de rien. Maréchal, premier chirurgien, lui en parla plusieurs fois, et fut toujours durement repoussé. Pressé enfin par son devoir et par son attachement, il se hasarda un matin vers la Pentecôte d’aller trouver Mme de Maintenon. Il lui dit ce qu’il voyoit, et combien grossièrement Fagon se trompoit. Il l’assura que le roi, à qui il avoit tâté le pouls souvent, avoit depuis longtemps une petite fièvre lente, interne ; que son tempérament étoit si bon, qu’avec des remèdes et de l’attention, tout étoit encore plein de ressources, mais que, si on laissoit gagner le mal, il n’y en auroit plus. Mme de Maintenon se fâcha, et tout ce qu’il remporta de son zèle fut de la colère : Elle lui dit qu’il n’y avoit que les ennemis personnels de Fagon qui trouvassent ce qu’il lui disoit là de la santé du roi, sur laquelle la capacité, l’application, l’expérience du premier médecin ne se pouvoit tromper. Le rare est que Maréchal, qui avoit autrefois taillé Fagon de la pierre, avoit été mis en place de premier chirurgien par lui, et qu’ils avoient toujours vécu depuis jusqu’alors dans la plus parfaite intelligence. Maréchal outré, qui me l’a conté, n’eut plus de mesures à pouvoir prendre, et commença dès lors à déplorer la mort de son maître. Fagon, en effet, étoit en science et en expérience le premier médecin de l’Europe, mais sa santé ne lui permettoit plus depuis longtemps d’entretenir son expérience, et le haut point d’autorité où sa capacité et sa faveur l’avoient porté l’avoit enfin gâté. Il ne vouloit ni raison ni réplique, et continuoit de conduire la santé du roi comme il avoit fait dans un âge moins avancé, et le tua par cette opiniâtreté.

La goutte dont il avoit eu de longues attaques avoit engagé Fagon à emmaillotter le roi, pour ainsi dire, tous les soirs