Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans un tas d’oreillers de plume qui le faisoient tellement suer toutes les nuits, qu’il le falloit frotter et changer tous les matins avant que le grand chambellan et les premiers gentilshommes de la chambre entrassent. Il ne buvoit depuis longues années, au lieu du meilleur vin de Champagne dont il avoit uniquement usé toute sa vie, que du vin de Bourgogne avec la moitié d’eau, si vieux qu’il en étoit usé. Il disoit quelquefois, en riant, qu’il y avoit souvent des seigneurs étrangers bien attrapés à vouloir goûter du vin de sa bouche. Jamais il n’en avoit bu de pur en aucun temps, ni usé de nulle sorte de liqueur, non pas même de thé, café, ni chocolat. À son lever seulement, au lieu d’un peu de pain, de vin et d’eau, il prenoit depuis fort longtemps deux tasses de sauge et de véronique ; souvent entre ses repas et toujours en se mettant au lit des verres d’eau avec un peu d’eau de fleur d’orange qui tenoient chopine, et toujours à la glace en tout temps ; même les jours de médecine il y buvoit et toujours aussi à ses repas, entre lesquels il ne mangea jamais quoi que ce fût, que quelques pastilles de cannelle qu’il mettoit dans sa poche à son fruit avec force biscotins pour ses chiennes couchantes de son cabinet.

Comme il devint la dernière année de sa vie de plus en plus resserré, Fagon lui faisoit manger à l’entrée de son repas beaucoup de fruits à la glace, c’est-à-dire des mûres, des melons et des figues, et celles-ci pourries à force d’être mûres, et à son dessert beaucoup d’autres fruits, qu’il finissoit par une quantité de sucreries qui surprenoit toujours. Toute l’année il mangeoit à souper une quantité prodigieuse de salade. Ses potages, dont il mangeoit soir et matin de plusieurs, et en quantité de chacun sans préjudice du reste, étoient pleins de jus et d’une extrême force, et tout ce qu’on lui servoit plein d’épices, au double au moins de ce qu’on y en met ordinairement, et très fort d’ailleurs. Cela et les sucreries n’étoit pas de l’avis de Fagon, qui, en le voyant manger, faisoit quelquefois des mines fort plaisantes, sans toutefois