Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/440

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partout qu’il sut maintenir toute sa vie, et lors même que vers sa fin il abandonna la cour à ses propres débris.

Mais cette dignité, il ne la vouloit que pour lui, et que par rapport à lui ; et celle-là même relative, il la sapa presque toute pour mieux achever de ruiner toute autre, et de la mettre peu à peu, comme il fit, à l’unisson, en retranchant tant qu’il put toutes les cérémonies et les distinctions, dont il ne retint que l’ombre, et certaines trop marquées pour les détruire, en semant même dans celles-là des zizanies qui les rendoient en partie à charge et en partie ridicules. Cette conduite lui servit encore à séparer, à diviser, à affermir la dépendance en la multipliant par des occasions sans nombre, et très intéressantes, qui, sans cette adresse, seroient demeurées dans les règles, et sans produire de disputes, et de recours à lui. Sa maxime encore n’étoit que de les prévenir, hors des choses bien marquées, et de ne les point juger ; il s’en savoit bien garder pour ne pas diminuer ces occasions qu’il se croyoit si utiles. Il en usait de même à cet égard pour les provinces ; tout y devint sous lui litigieux et en usurpations, et par là il en tira les mêmes avantages.

Peu à peu il réduisit tout le monde à servir et à grossir sa cour, ceux-là même dont il faisoit le moins de cas. Qui étoit d’âge a servir n’osoit différer d’entrer dans le service. Ce fut encore une autre adresse pour ruiner les seigneurs, et les accoutumer à l’égalité, et à rouler pêle-mêle avec tout le monde.

Cette invention fut due à lui et à Louvois, qui vouloit régner aussi sur toute seigneurie, et la rendre dépendante de lui, en sorte que les gens nés pour commander aux autres demeurèrent dans les idées et ne se trouvèrent plus dans aucune réalité.

Sous prétexte que tout service militaire est honorable, et qu’il est raisonnable d’apprendre à obéir avant que de commander, il assujettit tout, sans autre exception que des seuls princes du sang, à débuter par être cadets dans ses gardes