Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/444

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capitaines en France, et l’a mise radicalement hors de moyen d’en plus porter.

Louvois, désespéré du joug de M. le Prince et de M. de Turenne, non moins impatient du poids de leurs élèves, résolut de se garantir de celui de leurs successeurs, et d’énerver ces élèves mêmes. Il persuada au roi le danger de ne tenir pas par les cordons les généraux de ses armées, qui, ignorant les secrets du cabinet, et préférant leur réputation à toutes choses, pouvoient ne s’en pas tenir au plan convenu avec eux avant leur départ, profiter des occasions, faire des entreprises dont le bon succès troubleroit les négociations secrètes, et les mauvais feroient un plus triste effet ; que c’étoit à l’expérience et à la capacité du roi de régler non seulement les plans des campagnes de toutes ses armées, mais d’en conduire le cours de son cabinet, et de ne pas abandonner le sort de ses affaires à la fantaisie de ses généraux, dont aucun n’avoit la capacité, l’acquis ni la réputation de M. le Prince et de M. de Turenne, leurs maîtres.

Louvois surprit ainsi l’orgueil du roi, et, sous prétexte de le soulager, fit les plans des diverses campagnes, qui devinrent les lois des généraux d’armée, et qui peu à peu ne furent plus reçus à en contredire aucun. Par même adresse il les tint tous en brassière pendant le cours des campagnes jusqu’à n’oser profiter d’aucune occasion, sans en avoir envoyé demander la permission, qui s’échappoit presque toujours avant d’en avoir reçu la réponse. Par là Louvois devint le maître de porter ou non le fort de la guerre où il voulut, et de lâcher ou retenir la bride aux généraux d’armée à sa volonté, par conséquent de les faire valoir ou les dépriser à son gré.

Cette gêne, qui justement dépita lés généraux d’armée, causa la perte des plus importantes occasions, et souvent des plus sûres, et une négligence qui en fit manquer beaucoup d’autres.