Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/452

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répandre. Dans le peu qu’il laissa ces inspecteurs rendre compte au roi pour l’en amuser, et les autoriser dans les commencements, il eut grand soin de voir tout auparavant avec eux, et de leur faire leur leçon, qu’ils étoient d’autant plus obliges de suivre à la lettre, qu’il étoit toujours présent au compte qu’ils rendoient au roi.

En même temps il usa d’une autre adresse pour empêcher que les inspecteurs ne pussent lui échapper. Sous prétexte de l’étendue des frontières et des provinces où les troupes étoient répandues l’hiver, et de l’éloignement des différentes armées, l’été, les unes des autres, il établit un changement continuel des mêmes inspecteurs, qui ne voyoient jamais plusieurs fois de suite les mêmes troupes, de peur qu’ils n’y prissent trop d’autorité, tellement qu’ils ne furent utiles qu’à ôter toute autorité aux colonels, et inutiles pour toute autre chose, même pour l’exécution de ce qu’ils avoient ordonné ou réformé, puisqu’ils ne pouvoient le voir ni le suivre, et que c’étoit à un autre inspecteur à s’en informer, qui le plus souvent y étoit trompé, ne pouvoit deviner et ordonnoit tout différemment.

Ce fut un cri général dans les troupes. Les colonels généraux et les mestres de camp généraux de la cavalerie et des dragons, surtout le commissaire général de la cavalerie, qui en étoit l’inspecteur général né, perdirent le peu d’autorité qu’ils avoient pu sauver des mains de Louvois qui l’avoit presque tout anéantie, et qui par ce dernier coup en fit de purs fantômes. Les colonels ne demeurèrent guère autre chose ; les officiers sensés se dégoûtèrent de dépendre désormais de ces espèces de passe-volants [1] qui ne pouvoient les connoître ; d’autres par diverses raisons furent bien aises de ne plus dépendre de leurs colonels.

On n’osa rien dans cette primeur où Louvois, les yeux

  1. On donnait ordinairement ce nom à des soldats de parade que les capitaines faisaient figurer dans les montres ou revues pour que leur compagnie parût au complet.