Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/454

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plus puissant et plus l’arbitre des fortunes militaires : ce fut le grade de brigadier [1], inconnu jusqu’à lui dans nos troupes, et avec qui on auroit pu se passer utilement de faire connoissance. Les autres troupes de l’Europe n’en ont eu que depuis fort peu de temps. L’ancien des colonels de chaque brigade la commandoit ; et dans les détachements, les plus anciens colonels qui s’y trouvoient commandés y faisoient le service qui a depuis été attribué à ce grade. Il est donc inutile et superflu, mais il servit à retarder l’avancement de ce premier grade au-dessus des colonels, par conséquent à Louvois à en avoir un de plus à avancer ou à reculer qui bon lui sembleroit, et dans la totalité des grades, à rendre le chemin plus difficile et plus long, à arriver plus tard à celui de lieutenant général, et à retarder le bâton à l’âge plus que sexagénaire, où alors on n’avoit ni l’acquis ni la force de lutter avec le secrétaire d’État, ni de lui faire le plus léger ombrage.

On n’en a vu depuis d’exception que le dernier maréchal d’Estrées, pour la marine, par un hasard heureux d’avoir eu de bonne heure la place de vice-amiral de son père ; et par terre, le duc de Berwick, que son mérite seul n’eût jamais avancé sans la transcendance de sa qualité de bâtard. On a senti et on sentira longtemps encore ce que valent ces généraux sexagénaires, et des troupes abandonnées à elles-mêmes sous le nom des inspecteurs et sous la férule du bureau, c’est-à-dire sous l’ignorant et l’intéressé despotisme du secrétaire d’État de la guerre, et sous celui d’un roi trop véritablement muselé. Venons maintenant à un autre genre de politique de Louis XIV.

  1. Les brigadiers, ou commandants de brigade, furent institués en 1665 pour la cavalerie, et en 1668 pour l’infanterie. Ils avaient rang au-dessus des colonels et mestres de camp.