Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/460

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il les combinoit, et ne perdoit pas la plus légère occasion d’agir à leur égard en conséquence. C’étoit un démérite aux uns, et à tout ce qu’il y avoit de distingué, de ne faire pas de la cour son séjour ordinaire, aux autres d’y venir rarement, et une disgrâce sûre pour qui n’y venoit jamais, ou comme jamais. Quand il s’agissoit de quelque chose pour eux : « Je ne le connois point, » répondoit-il fièrement. Sur ceux qui se présentoient rarement : « C’est un homme que je ne vois jamais ; » et ces arrêts-là étoient irrévocables. C’étoit un autre crime de n’aller point à Fontainebleau, qu’il regardoit comme Versailles, et pour certaines gens de ne demander pas pour Marly, les uns toujours, les autres souvent, quoique sans dessein de les y mener, les uns toujours ni les autres souvent ; mais si on étoit sur le pied d’y aller toujours, il falloit une excuse valable pour s’en dispenser, hommes et femmes de même. Surtout il ne pouvoit souffrir les gens qui se plaisoient à Paris. Il supportoit assez aisément ceux qui aimoient leur campagne, encore y falloit-il être mesuré ou avoir pris ses précautions avant d’y aller passer un temps un peu long.

Cela ne se bornoit pas aux personnes en charges, ou familières, ou bien traitées, ni à celles que leur âge ou leur représentation marquoit plus que les autres. La destination seule suffisoit dans les gens habitués à la cour. On a vu sur cela, en son lieu, l’attention qu’eut le roi à un voyage que je fis à Rouen pour un procès, tout jeune que j’étois, et à m’y faire écrire de sa part par Pontchartrain pour en savoir la raison.

Louis XIV s’étudioit avec grand soin à être bien informé de ce qui se passoit partout, dans les lieux publics, dans les maisons particulières, dans le commerce du monde, dans le secret des familles et des maisons. Les espions et les rapporteurs étoient infinis. Il en avoit de toute espèce : plusieurs qui ignoroient que leurs délations allassent jusqu’à lui, d’autres qui le savoient, quelques-uns qui lui écrivoient