Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/91

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nous ne demeurâmes guère moins d’une heure à nous entretenir fort librement. Elle ne me dissimula point ses craintes, la froideur qu’elle avoit sentie pour elle dans ses deux audiences, à travers toute la politesse que le roi et Mme de Maintenon lui avoient témoignée, le vide qu’elle trouvoit à la cour, et même à Paris, enfin l’incertitude où elle étoit encore sur le choix de sa demeure, tout cela avec détail et néanmoins sans plaintes, sans regrets, sans faiblesse, toujours mesurée, toujours comme s’il se fût agi d’une autre, et supérieure aux événements. Elle toucha légèrement l’Espagne, le crédit et l’ascendant même que la reine y prenoit sur le roi, me faisant entendre que cela ne pouvoit être autrement, coulant légèrement et modestement sur la reine, se louant toujours des bontés du roi d’Espagne. La crainte du spectacle des passants lui fit mettre fin à notre conversation. Elle me fit mille amitiés et son regret de l’abréger, me promit de m’avertir avant son départ, pour me donner encore une journée, me dit mille choses pour Mme de Saint-Simon, et me témoigna être sensible à la marque d’amitié que je lui donnois là, malgré l’engagement où j’étois avec M. le duc d’Orléans. Dès que je l’eus vue partir, j’allai chez M. le duc d’Orléans à qui je dis ce que je venois de faire ; que ce n’étoit point une visite, mais une rencontre ; qu’il étoit vrai que je n’avois pu m’empêcher de la chercher, sans préjudice de la visite du départ qu’il m’avoit permise. Lui et Mme la duchesse d’Orléans ne le trouvèrent point mauvais ; ils avoient en plein triomphé d’elle, et ils étoient sur le point de la voir sortir de France pour toujours, et sans espoir en Espagne.

Jusqu’alors Mme des Ursins, amusée par un reste d’amis ou de connoissances grossi par ceux de M. de Noirmoutiers chez qui elle logeoit, et qui en avoit beaucoup, s’étoit lentement occupée à l’arrangement de ses affaires dans un si grand changement, et à retirer ses effets d’Espagne. La frayeur de se pouvoir trouver fort promptement sous la